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Affirmer sa citoyenneté dans le cadre de la démocratie directe suisse

Politique sociale et de la santé : l’engagement des usagers

Atelier animé par Robert Joosten dans le cadre du XIVe colloque de l’AQRP (Association québécoise pour la réadaptation psychosociale) – «Rétablissement et citoyenneté dans l’espace francophone», Château Mont-Sainte-Anne (Québec), octobre 2008.

Introduction

Bonjour, je m’appelle Robert Joosten, et je représente le GRAAP (Groupe romand d’accueil et d’action psychiatrique) basé à Lausanne en Suisse. J’ai 35 ans, je suis mathématicien de formation et je suis au bénéfice d’une rente d’invalidité depuis plusieurs années en raison de troubles schizo-affectifs. Je travaille à 50% au GRAAP : le modeste salaire que je touche vient en complément de ma rente. J’ai principalement deux tâches au GRAAP : je suis responsable de la gestion de notre site web et je m’occupe du suivi de la politique sociale. C’est à ce titre que je vais vous parler de l’aventure de la 5ème révision de l’AI, qui a permis aux usagers d’affirmer leur citoyenneté.

Présentation du GRAAP

Tout d’abord, je donne la parole à Mme Madeleine Pont, fondatrice et directrice du GRAAP, qui va brièvement présenter notre association, son rôle et son insertion dans la politique sociale régionale.

Présentation par Madeleine Pont

Présentation de la CORAASP

Le GRAAP fait partie d’une association faîtière, la CORAASP, active au niveau de la Suisse francophone (nous parlons alors de Suisse romande). Nous dirons également deux mots sur le rôle de la CORAASP.

La CORAASP a été fondée en 1999 et regroupe 19 associations romandes travaillant dans le domaine des incidences psychologiques et sociales des maladies psychiques. Parmi les membres de la CORAASP, un certain nombre sont des associations d’entraide comme le GRAAP, composées d’usagers et de proches, actives dans différentes parties de la Suisse romande. La CORAASP s’engage beaucoup sur le plan politique. Elle a en particulier une commission de politique sociale, qui se réunit plusieurs fois par année et dont je fais partie. Je vous en dirai plus sur la CORAASP demain, lors de mon intervention à l’Escale des usagers.

Enfin, nous terminerons cette introduction en présentant le contexte suisse : l’assurance-invalidité et les mécanismes de la démocratie semi-directe (en particulier le référendum).

L’assurance-invalidité

En Suisse, nous avons une assurance-invalidité publique régie par une loi, la LAI (loi sur l’assurance-invalidité). Toute personne adulte, active professionnellement ou non, y cotise obligatoirement. Cette assurance offre essentiellement deux prestations :

  • des mesures de réadaptation, qui visent à permettre aux assurés invalides de se réinsérer professionnellement, afin qu’ils puissent disposer par eux-mêmes du minimum dont ils ont besoin pour vivre ;
  • l’octroi d’une rente (qui peut être partielle), lorsqu’une réinsertion (ou une insertion) n’est pas envisageable ou seulement en partie.

En ce qui me concerne, je suis au bénéfice d’une rente d’invalidité à 100%, consécutive à la maladie psychique dont je souffre.

Il est important également de préciser comment on définit l’invalidité en Suisse. Cette définition n’est probablement pas la même au Canada, en Belgique ou en France. «Il y a invalidité quand la personne ne peut pas exercer d’activité lucrative ou ne peut le faire que partiellement (ou qu’elle est incapable d’accomplir ses travaux habituels) parce qu’elle est atteinte dans sa santé physique, psychique ou mentale. L’atteinte à la santé peut être liée à une infirmité congénitale, à une maladie ou à un accident.» C’est donc plus une définition économique que médicale.

Il faut aussi préciser que l’obtention d’une rente ou de mesures de réadaptation n’est pas une chose facile en Suisse, les procédures sont longues et les refus sont nombreux. En ce qui me concerne, la démarche a pris qu’un peu plus qu’une année, mais il n’est pas inhabituel de devoir attendre 2 ou 3 ans, voire plus. Je connais aussi des personnes qui ont dû faire recours contre une décision négative avant d’avoir gain de cause.Il est important de signaler que l’assurance-invalidité est gravement surendettée depuis pas mal d’années : c’est dans ce contexte que sera lancée la 5ème révision de la LAI, dont je parlerai abondamment dans la suite de mon atelier.

La démocratie semi-directe suisse

Plutôt que parler de démocratie directe, il est plus exact de dire que la Suisse a un système de démocratie semi-directe. La Suisse a en effet un Parlement représentatif élu qui légifère, chacun des 26 cantons (des sortes de provinces) a aussi son propre Parlement.

Certaines décisions du Parlement doivent être soumises au scrutin populaire : il s’agit des modifications de la Constitution. On parle alors de référendum obligatoire. Il n’est pas rare que les citoyens refusent une modification constitutionnelle approuvée par le Parlement.

Les modifications de loi (ou nouvelles lois) ne sont pas automatiquement soumises au vote du peuple, mais le référendum facultatif permet à 50’000 citoyens de demander que le texte législatif approuvé par le Parlement soit soumis au scrutin populaire. En général, un comité composé de citoyens, de partis et d’associations lance le référendum une fois la loi publiée. Ce comité a alors 100 jours pour récolter 50’000 signatures. Si le référendum aboutit, la loi est ensuite assez rapidement soumise à la votation populaire. Il arrive couramment qu’une loi adoptée par le Parlement soit ensuite refusée par le peuple (qui a le dernier mot dans ce cadre).

Il y a également un autre instrument de démocratie directe, l’initiative populaire. N’importe quel groupe de citoyens peut proposer un projet de loi et récolter 100’000 signatures pour appuyer son texte (dans un délai de 18 mois). Dans la pratique, c’est en général des partis, des associations ou des syndicats qui se regroupent pour proposer une initiative populaire. Le projet de loi est ensuite soumis au scrutin populaire quelques années plus tard (le Parlement peut aussi proposer un contre-projet). Il est rare qu’une initiative populaire soit acceptée, mais c’est déjà arrivé quelques fois.

Enfin, il est intéressant de noter que le référendum et l’initiative populaire existent également à l’échelle de chaque canton et même à l’échelle des communes (selon les cantons).

Par ces instruments, le système suisse se distingue notablement des autres pays francophones. Si je ne m’abuse, en France et au Canada, le référendum est peu courant et uniquement convoqué pour trancher une question institutionnelle importante (traité constitutionnel européen pour ce qui est de la France, souveraineté du Québec). En Belgique, il n’y a pas de référendum du tout, sauf erreur de ma part.

La 5ème révision de la loi sur l’assurance-invalidité

Nous allons ensuite parler de la 5ème révision de l’AI, en évoquant les différentes phases : la consultation, l’adoption du projet par le Parlement, le référendum contre la révision, la votation populaire.
Des patients psys ont pu participer à toutes les phases de ce processus.

Phase de consultation : les associations d’entraide donnent leur avis sur un projet législatif

En automne 2004, le projet de 5ème révision de l’AI a été mis en consultation. Nous allons brièvement présenter les principaux points de cette révision :

  • L’introduction de la détection précoce (y compris les sanctions en cas de non collaboration)
  • La nouvelle définition de l’invalidité
  • Le nouveau pouvoir des médecins de l’AI
  • L’augmentation de la durée de cotisation
  • La suppression du supplément de carrière

Introduction de la détection précoce

Le mécanisme de détection précoce prévoit que lorsqu’une personne est absente de son travail pendant plusieurs semaines, son employeur, sa famille, son médecin, son assurance, peut annoncer son cas à l’Office AI (chaque canton a un tel office qui dépend de l’OFAS, l’Office fédéral des assurances sociales). Cette annonce peut se faire sans le consentement de la personne concernée (ce que je trouve très grave). L’Office AI demandera ensuite le dossier médical de la personne à son médecin. Le médecin aura le devoir de transmettre ce dossier à l’Office AI, ce qui viole allégrement le secret médical (auxquels les gens tiennent beaucoup en Suisse). L’office AI pourra ensuite demander à l’employeur une adaptation du poste de travail, afin que l’employé puisse garder son emploi sans que sa maladie ne dégénère et ne conduise à l’invalidité. Mais pendant cette période, l’employé n’est pas du tout protégé contre le licenciement et l’employeur est libre de faire ce qu’il veut. On imagine bien les dérapages possibles.

Pour corser le tout, des sanctions (financières entre autres) sont prévues à l’encontre des assurés qui ne collaborent pas assez efficacement à leur réinsertion pendant cette période de détection précoce. Imaginez une personne en pleine dépression : ce n’est pas forcément facile pour elle d’entreprendre les mesures raisonnablement exigibles pour réduire la durée et l’étendue de l’incapacité de travail. Curieusement, aucune sanction n’est prévue contre l’employeur qui ne ferait pas assez d’effort pour réinsérer son employé fragilisé par la maladie.

Nouvelle définition de l’invalidité

La 5ème révision de l’AI fixe une définition plus restrictive de l’invalidité. On parle désormais d’invalidité lorsque l’incapacité de gain est objectivement insurmontable. Une définition ouvrant la porte à l’arbitraire, qui risque d’exclure les maladies addictives, les douleurs chroniques et les troubles somatoformes.

Nouveau pouvoir des médedins de l’AI

La révision de loi prévoit que les médecins des Services médicaux régionaux, dépendant de l’assurance-invalidité, auront tout pouvoir pour évaluer la capacité de gain des assurés, au détriment des médecins traitants. Ce médecin officiel ne sera pas forcément spécialisé (un orthopédiste pourrait traiter un dossier psychiatrique) et ne connaîtra jamais aussi bien le patient que le médecin qui le suit.

Augmentation de la durée de cotisation

Jusqu’à présent, il fallait avoir cotisé au moins une année pour pouvoir bénéficier des prestations de l’assurance-invalidité. La 5ème révision fait passer cette durée minimale de cotisation à 3 ans, ce qui pénalisera les étrangers et les jeunes.

Suppression du supplément de carrière

Jusqu’à présent, les personnes qui devenaient invalides avant l’âge de 45 ans bénéficiaient d’un supplément de carrière. Leur rente initiale était majorée, pour tenir compte du fait qu’ils auraient eu une progression salariale s’ils avaient pu faire une carrière ordinaire. La 5ème révision de l’AI prévoit la suppression du supplément de carrière.

L’avis de la CORAASP

La CORAASP faisait partie des nombreuses instances consultées. Dans ce cadre, j’ai participé à un groupe de travail qui a réfléchi pendant plusieurs mois sur le projet et a rédigé une prise de position détaillée, plutôt défavorable.

À notre avis, cette révision de la LAI visait clairement à faire des économies, ceci au détriment des personnes invalides et surtout de celles qui pourraient le devenir un jour. Certains éléments de la révision frappaient de plein fouet les personnes souffrant de maladie psychique (nouvelle définition de l’invalidité, sanctions en cas de non collaboration).

L’aventure du référendum : des patients psys récoltent des signatures

En octobre 2006, le Parlement suisse a adopté la révision. Très rapidement, deux associations de personnes handicapées ont lancé un référendum contre cette loi. Ils seront rejoints par des partis politiques, des syndicats et d’autres associations de personnes handicapées. Le GRAAP adhère rapidement au comité référendaire (sur décision du comité, composé de personnes touchées par la maladie et de proches). En compagnie de deux professionnels du GRAAP, j’ai la chance de participer à de nombreuses réunions de coordination référendaire. Ce sera l’occasion de rencontrer des politiciens, des syndicalistes, des personnes souffrant d’autres handicaps. Ce sera surtout l’occasion de les sensibiliser à la problématique spécifique de la maladie psychique, souvent méconnue. Le GRAAP participe à la récolte de signatures en envoyant des feuilles de signatures à ses membres et contacts. Plusieurs patients psys de notre association participent à des stands dans la rue pour récolter des signatures pour le référendum. Le référendum aboutit : une délégation du GRAAP composée essentiellement d’usagers va à Berne (capitale de la Suisse) pour participer au dépôt des signatures à la Chancellerie fédérale. Les médias (télévision, radio, presse écrite) sont présents.

La campagne de votation : des patients psys s’expriment dans les médias

La votation a lieu 5 mois plus tard (le 17 juin 2007). Des usagers participent à la campagne en intervenant à la télévision, à des conférences de presse, des tables rondes et diverses manifestations. Ils essaient d’expliquer au grand public en quoi la 5ème révision de l’AI touche particulièrement les personnes souffrant d’un handicap psychique. Un travail de sensibilisation est aussi réalisé à l’intérieur de notre association. Les questions politiques n’intéressent que modérément les membres du GRAAP. Pourtant, la plupart de nos membres sont aussi des citoyens avec le droit de vote. Nous nous sommes efforcés de convaincre nos membres à aller voter le 17 juin sur cet enjeu crucial. Ce travail de sensibilisation se faisait également en temps ordinaire au GRAAP à travers des soirées de présentation politique avant chaque votation ou élection. Avec une bénévole, j’étais responsable de ces soirées politiques. Mais hélas, par manque de fréquentation, nous avons décidé récemment de ne plus organiser ces soirées (en tout cas temporairement).

Malgré l’échec en votation, les associations d’entraide restent mobilisées

Le 17 juin 2007, la 5ème révision de l’AI est acceptée par 59% des votants. Nous avons perdu, mais le score est plus qu’honorable. Nous avons réussi à convaincre une forte minorité des citoyens suisses de ne pas démanteler une assurance sociale essentielle. Des liens ont été créés entre les associations d’entraide psychiatrique et les milieux politiques, syndicaux. D’autres liens ont été forgés avec les représentants des autres handicaps. Des liens qui perdurent : j’ai en effet la chance de participer régulièrement au Forum de politique sociale d’Agile, association faîtière suisse regroupant les associations d’entraide de personnes handicapées en Suisse. De plus, nous participons aussi à un processus de monitoring de la 5ème révision de l’AI. Un processus associatif qui vise à assurer un suivi et une surveillance de l’application de la révision.

Le financement additionnel : un nouveau combat s’engage déjà

Le 13 juin 2008, le Parlement a enfin adopté un financement additionnel de l’assurance-invalidité (qui devait normalement être voté en même temps que la 5ème révision de l’AI). Cela passe par une hausse temporaire de la TVA (taxe à la valeur ajoutée). Un changement de TVA étant d’ordre constitutionnel en Suisse, les citoyens seront obligatoirement consultés en votation. Le scrutin aura probablement lieu au printemps 2009. De nombreuses organisations de défense des droits des handicapés se sont engagées déjà à se battre pour le financement additionnel : une association, «Oui au financement de l’AI» a ainsi été fondée pour assumer la responsabilité de la campagne de votation sur la hausse de la TVA. La CORAASP est de la partie. Le GRAAP va très probablement prendre aussi parti pour le financement additionnel.

Musique d’avenir

Le financement additionnel a de faibles chances de passer en votation. Les augmentations d’impôts ne sont guères populaires en Suisse et une précédente hausse de la TVA (pour l’assurance-invalidité et l’assurance-vieillesse) avait clairement échoué en votation. Mais même si ce financement additionnel était adopté, l’assurance-invalidité ne serait pas hors de danger financièrement. Elle n’aurait gagné qu’un répit de quelques années. La droite exercera rapidement de fortes pressions pour réduire les dépenses et une 6ème révision drastique nous menacera. Nous devrons à nouveau nous mobiliser contre un démantèlement supplémentaire de l’assurance-invalidité au détriment des personnes invalides.

Enseignements positifs de l’aventure sous forme de trois résolutions

L’aventure de la 5ème révision de l’AI a eu trois effets très positifs (correspondant aux résolutions / engagements de cet atelier) :

a) elle a permis de développer la solidarité entre les usagers psys et les personnes souffrant d’autres handicaps

b) elle a permis aux usagers psys de prendre la parole dans les médias

c) elle a permis de développer les contacts directs entre les usagers psys et les politiciens.

Un temps de questions/réponses est ouvert.

Réflexion et échange entre participants

Pour terminer l’atelier, nous proposons un temps de réflexion et d’échange. Les participants vont réfléchir à ces trois résolutions et tenter de répondre aux questions suivantes :

  • Comment peut-on développer ces engagements dans les pays francophones ?
  • Est-ce que l’exemple suisse peut inspirer les usagers des autres pays ?
  • Comment maintenir ces engagements dans la durée ?
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Affirmer sa citoyenneté dans le cadre de la démocratie directe suisse

Politique sociale et de la santé : l’engagement des usagers

Atelier animé par Robert Joosten dans le cadre du XIVe colloque de l’AQRP (Association québécoise pour la réadaptation psychosociale) – «Rétablissement et citoyenneté dans l’espace francophone», Château Mont-Sainte-Anne (Québec), octobre 2008.

Introduction

Bonjour, je m’appelle Robert Joosten, et je représente le GRAAP (Groupe romand d’accueil et d’action psychiatrique) basé à Lausanne en Suisse. J’ai 35 ans, je suis mathématicien de formation et je suis au bénéfice d’une rente d’invalidité depuis plusieurs années en raison de troubles schizo-affectifs. Je travaille à 50% au GRAAP : le modeste salaire que je touche vient en complément de ma rente. J’ai principalement deux tâches au GRAAP : je suis responsable de la gestion de notre site web et je m’occupe du suivi de la politique sociale. C’est à ce titre que je vais vous parler de l’aventure de la 5ème révision de l’AI, qui a permis aux usagers d’affirmer leur citoyenneté.

Présentation du GRAAP

Tout d’abord, je donne la parole à Mme Madeleine Pont, fondatrice et directrice du GRAAP, qui va brièvement présenter notre association, son rôle et son insertion dans la politique sociale régionale.

Présentation par Madeleine Pont

Présentation de la CORAASP

Le GRAAP fait partie d’une association faîtière, la CORAASP, active au niveau de la Suisse francophone (nous parlons alors de Suisse romande). Nous dirons également deux mots sur le rôle de la CORAASP.

La CORAASP a été fondée en 1999 et regroupe 19 associations romandes travaillant dans le domaine des incidences psychologiques et sociales des maladies psychiques. Parmi les membres de la CORAASP, un certain nombre sont des associations d’entraide comme le GRAAP, composées d’usagers et de proches, actives dans différentes parties de la Suisse romande. La CORAASP s’engage beaucoup sur le plan politique. Elle a en particulier une commission de politique sociale, qui se réunit plusieurs fois par année et dont je fais partie. Je vous en dirai plus sur la CORAASP demain, lors de mon intervention à l’Escale des usagers.

Enfin, nous terminerons cette introduction en présentant le contexte suisse : l’assurance-invalidité et les mécanismes de la démocratie semi-directe (en particulier le référendum).

L’assurance-invalidité

En Suisse, nous avons une assurance-invalidité publique régie par une loi, la LAI (loi sur l’assurance-invalidité). Toute personne adulte, active professionnellement ou non, y cotise obligatoirement. Cette assurance offre essentiellement deux prestations :

  • des mesures de réadaptation, qui visent à permettre aux assurés invalides de se réinsérer professionnellement, afin qu’ils puissent disposer par eux-mêmes du minimum dont ils ont besoin pour vivre ;
  • l’octroi d’une rente (qui peut être partielle), lorsqu’une réinsertion (ou une insertion) n’est pas envisageable ou seulement en partie.

En ce qui me concerne, je suis au bénéfice d’une rente d’invalidité à 100%, consécutive à la maladie psychique dont je souffre.

Il est important également de préciser comment on définit l’invalidité en Suisse. Cette définition n’est probablement pas la même au Canada, en Belgique ou en France. «Il y a invalidité quand la personne ne peut pas exercer d’activité lucrative ou ne peut le faire que partiellement (ou qu’elle est incapable d’accomplir ses travaux habituels) parce qu’elle est atteinte dans sa santé physique, psychique ou mentale. L’atteinte à la santé peut être liée à une infirmité congénitale, à une maladie ou à un accident.» C’est donc plus une définition économique que médicale.

Il faut aussi préciser que l’obtention d’une rente ou de mesures de réadaptation n’est pas une chose facile en Suisse, les procédures sont longues et les refus sont nombreux. En ce qui me concerne, la démarche a pris qu’un peu plus qu’une année, mais il n’est pas inhabituel de devoir attendre 2 ou 3 ans, voire plus. Je connais aussi des personnes qui ont dû faire recours contre une décision négative avant d’avoir gain de cause.Il est important de signaler que l’assurance-invalidité est gravement surendettée depuis pas mal d’années : c’est dans ce contexte que sera lancée la 5ème révision de la LAI, dont je parlerai abondamment dans la suite de mon atelier.

La démocratie semi-directe suisse

Plutôt que parler de démocratie directe, il est plus exact de dire que la Suisse a un système de démocratie semi-directe. La Suisse a en effet un Parlement représentatif élu qui légifère, chacun des 26 cantons (des sortes de provinces) a aussi son propre Parlement.

Certaines décisions du Parlement doivent être soumises au scrutin populaire : il s’agit des modifications de la Constitution. On parle alors de référendum obligatoire. Il n’est pas rare que les citoyens refusent une modification constitutionnelle approuvée par le Parlement.

Les modifications de loi (ou nouvelles lois) ne sont pas automatiquement soumises au vote du peuple, mais le référendum facultatif permet à 50’000 citoyens de demander que le texte législatif approuvé par le Parlement soit soumis au scrutin populaire. En général, un comité composé de citoyens, de partis et d’associations lance le référendum une fois la loi publiée. Ce comité a alors 100 jours pour récolter 50’000 signatures. Si le référendum aboutit, la loi est ensuite assez rapidement soumise à la votation populaire. Il arrive couramment qu’une loi adoptée par le Parlement soit ensuite refusée par le peuple (qui a le dernier mot dans ce cadre).

Il y a également un autre instrument de démocratie directe, l’initiative populaire. N’importe quel groupe de citoyens peut proposer un projet de loi et récolter 100’000 signatures pour appuyer son texte (dans un délai de 18 mois). Dans la pratique, c’est en général des partis, des associations ou des syndicats qui se regroupent pour proposer une initiative populaire. Le projet de loi est ensuite soumis au scrutin populaire quelques années plus tard (le Parlement peut aussi proposer un contre-projet). Il est rare qu’une initiative populaire soit acceptée, mais c’est déjà arrivé quelques fois.

Enfin, il est intéressant de noter que le référendum et l’initiative populaire existent également à l’échelle de chaque canton et même à l’échelle des communes (selon les cantons).

Par ces instruments, le système suisse se distingue notablement des autres pays francophones. Si je ne m’abuse, en France et au Canada, le référendum est peu courant et uniquement convoqué pour trancher une question institutionnelle importante (traité constitutionnel européen pour ce qui est de la France, souveraineté du Québec). En Belgique, il n’y a pas de référendum du tout, sauf erreur de ma part.

La 5ème révision de la loi sur l’assurance-invalidité

Nous allons ensuite parler de la 5ème révision de l’AI, en évoquant les différentes phases : la consultation, l’adoption du projet par le Parlement, le référendum contre la révision, la votation populaire.
Des patients psys ont pu participer à toutes les phases de ce processus.

Phase de consultation : les associations d’entraide donnent leur avis sur un projet législatif

En automne 2004, le projet de 5ème révision de l’AI a été mis en consultation. Nous allons brièvement présenter les principaux points de cette révision :

  • L’introduction de la détection précoce (y compris les sanctions en cas de non collaboration)
  • La nouvelle définition de l’invalidité
  • Le nouveau pouvoir des médecins de l’AI
  • L’augmentation de la durée de cotisation
  • La suppression du supplément de carrière

Introduction de la détection précoce

Le mécanisme de détection précoce prévoit que lorsqu’une personne est absente de son travail pendant plusieurs semaines, son employeur, sa famille, son médecin, son assurance, peut annoncer son cas à l’Office AI (chaque canton a un tel office qui dépend de l’OFAS, l’Office fédéral des assurances sociales). Cette annonce peut se faire sans le consentement de la personne concernée (ce que je trouve très grave). L’Office AI demandera ensuite le dossier médical de la personne à son médecin. Le médecin aura le devoir de transmettre ce dossier à l’Office AI, ce qui viole allégrement le secret médical (auxquels les gens tiennent beaucoup en Suisse). L’office AI pourra ensuite demander à l’employeur une adaptation du poste de travail, afin que l’employé puisse garder son emploi sans que sa maladie ne dégénère et ne conduise à l’invalidité. Mais pendant cette période, l’employé n’est pas du tout protégé contre le licenciement et l’employeur est libre de faire ce qu’il veut. On imagine bien les dérapages possibles.

Pour corser le tout, des sanctions (financières entre autres) sont prévues à l’encontre des assurés qui ne collaborent pas assez efficacement à leur réinsertion pendant cette période de détection précoce. Imaginez une personne en pleine dépression : ce n’est pas forcément facile pour elle d’entreprendre les mesures raisonnablement exigibles pour réduire la durée et l’étendue de l’incapacité de travail. Curieusement, aucune sanction n’est prévue contre l’employeur qui ne ferait pas assez d’effort pour réinsérer son employé fragilisé par la maladie.

Nouvelle définition de l’invalidité

La 5ème révision de l’AI fixe une définition plus restrictive de l’invalidité. On parle désormais d’invalidité lorsque l’incapacité de gain est objectivement insurmontable. Une définition ouvrant la porte à l’arbitraire, qui risque d’exclure les maladies addictives, les douleurs chroniques et les troubles somatoformes.

Nouveau pouvoir des médedins de l’AI

La révision de loi prévoit que les médecins des Services médicaux régionaux, dépendant de l’assurance-invalidité, auront tout pouvoir pour évaluer la capacité de gain des assurés, au détriment des médecins traitants. Ce médecin officiel ne sera pas forcément spécialisé (un orthopédiste pourrait traiter un dossier psychiatrique) et ne connaîtra jamais aussi bien le patient que le médecin qui le suit.

Augmentation de la durée de cotisation

Jusqu’à présent, il fallait avoir cotisé au moins une année pour pouvoir bénéficier des prestations de l’assurance-invalidité. La 5ème révision fait passer cette durée minimale de cotisation à 3 ans, ce qui pénalisera les étrangers et les jeunes.

Suppression du supplément de carrière

Jusqu’à présent, les personnes qui devenaient invalides avant l’âge de 45 ans bénéficiaient d’un supplément de carrière. Leur rente initiale était majorée, pour tenir compte du fait qu’ils auraient eu une progression salariale s’ils avaient pu faire une carrière ordinaire. La 5ème révision de l’AI prévoit la suppression du supplément de carrière.

L’avis de la CORAASP

La CORAASP faisait partie des nombreuses instances consultées. Dans ce cadre, j’ai participé à un groupe de travail qui a réfléchi pendant plusieurs mois sur le projet et a rédigé une prise de position détaillée, plutôt défavorable.

À notre avis, cette révision de la LAI visait clairement à faire des économies, ceci au détriment des personnes invalides et surtout de celles qui pourraient le devenir un jour. Certains éléments de la révision frappaient de plein fouet les personnes souffrant de maladie psychique (nouvelle définition de l’invalidité, sanctions en cas de non collaboration).

L’aventure du référendum : des patients psys récoltent des signatures

En octobre 2006, le Parlement suisse a adopté la révision. Très rapidement, deux associations de personnes handicapées ont lancé un référendum contre cette loi. Ils seront rejoints par des partis politiques, des syndicats et d’autres associations de personnes handicapées. Le GRAAP adhère rapidement au comité référendaire (sur décision du comité, composé de personnes touchées par la maladie et de proches). En compagnie de deux professionnels du GRAAP, j’ai la chance de participer à de nombreuses réunions de coordination référendaire. Ce sera l’occasion de rencontrer des politiciens, des syndicalistes, des personnes souffrant d’autres handicaps. Ce sera surtout l’occasion de les sensibiliser à la problématique spécifique de la maladie psychique, souvent méconnue. Le GRAAP participe à la récolte de signatures en envoyant des feuilles de signatures à ses membres et contacts. Plusieurs patients psys de notre association participent à des stands dans la rue pour récolter des signatures pour le référendum. Le référendum aboutit : une délégation du GRAAP composée essentiellement d’usagers va à Berne (capitale de la Suisse) pour participer au dépôt des signatures à la Chancellerie fédérale. Les médias (télévision, radio, presse écrite) sont présents.

La campagne de votation : des patients psys s’expriment dans les médias

La votation a lieu 5 mois plus tard (le 17 juin 2007). Des usagers participent à la campagne en intervenant à la télévision, à des conférences de presse, des tables rondes et diverses manifestations. Ils essaient d’expliquer au grand public en quoi la 5ème révision de l’AI touche particulièrement les personnes souffrant d’un handicap psychique. Un travail de sensibilisation est aussi réalisé à l’intérieur de notre association. Les questions politiques n’intéressent que modérément les membres du GRAAP. Pourtant, la plupart de nos membres sont aussi des citoyens avec le droit de vote. Nous nous sommes efforcés de convaincre nos membres à aller voter le 17 juin sur cet enjeu crucial. Ce travail de sensibilisation se faisait également en temps ordinaire au GRAAP à travers des soirées de présentation politique avant chaque votation ou élection. Avec une bénévole, j’étais responsable de ces soirées politiques. Mais hélas, par manque de fréquentation, nous avons décidé récemment de ne plus organiser ces soirées (en tout cas temporairement).

Malgré l’échec en votation, les associations d’entraide restent mobilisées

Le 17 juin 2007, la 5ème révision de l’AI est acceptée par 59% des votants. Nous avons perdu, mais le score est plus qu’honorable. Nous avons réussi à convaincre une forte minorité des citoyens suisses de ne pas démanteler une assurance sociale essentielle. Des liens ont été créés entre les associations d’entraide psychiatrique et les milieux politiques, syndicaux. D’autres liens ont été forgés avec les représentants des autres handicaps. Des liens qui perdurent : j’ai en effet la chance de participer régulièrement au Forum de politique sociale d’Agile, association faîtière suisse regroupant les associations d’entraide de personnes handicapées en Suisse. De plus, nous participons aussi à un processus de monitoring de la 5ème révision de l’AI. Un processus associatif qui vise à assurer un suivi et une surveillance de l’application de la révision.

Le financement additionnel : un nouveau combat s’engage déjà

Le 13 juin 2008, le Parlement a enfin adopté un financement additionnel de l’assurance-invalidité (qui devait normalement être voté en même temps que la 5ème révision de l’AI). Cela passe par une hausse temporaire de la TVA (taxe à la valeur ajoutée). Un changement de TVA étant d’ordre constitutionnel en Suisse, les citoyens seront obligatoirement consultés en votation. Le scrutin aura probablement lieu au printemps 2009. De nombreuses organisations de défense des droits des handicapés se sont engagées déjà à se battre pour le financement additionnel : une association, «Oui au financement de l’AI» a ainsi été fondée pour assumer la responsabilité de la campagne de votation sur la hausse de la TVA. La CORAASP est de la partie. Le GRAAP va très probablement prendre aussi parti pour le financement additionnel.

Musique d’avenir

Le financement additionnel a de faibles chances de passer en votation. Les augmentations d’impôts ne sont guères populaires en Suisse et une précédente hausse de la TVA (pour l’assurance-invalidité et l’assurance-vieillesse) avait clairement échoué en votation. Mais même si ce financement additionnel était adopté, l’assurance-invalidité ne serait pas hors de danger financièrement. Elle n’aurait gagné qu’un répit de quelques années. La droite exercera rapidement de fortes pressions pour réduire les dépenses et une 6ème révision drastique nous menacera. Nous devrons à nouveau nous mobiliser contre un démantèlement supplémentaire de l’assurance-invalidité au détriment des personnes invalides.

Enseignements positifs de l’aventure sous forme de trois résolutions

L’aventure de la 5ème révision de l’AI a eu trois effets très positifs (correspondant aux résolutions / engagements de cet atelier) :

a) elle a permis de développer la solidarité entre les usagers psys et les personnes souffrant d’autres handicaps

b) elle a permis aux usagers psys de prendre la parole dans les médias

c) elle a permis de développer les contacts directs entre les usagers psys et les politiciens.

Un temps de questions/réponses est ouvert.

Réflexion et échange entre participants

Pour terminer l’atelier, nous proposons un temps de réflexion et d’échange. Les participants vont réfléchir à ces trois résolutions et tenter de répondre aux questions suivantes :

  • Comment peut-on développer ces engagements dans les pays francophones ?
  • Est-ce que l’exemple suisse peut inspirer les usagers des autres pays ?
  • Comment maintenir ces engagements dans la durée ?

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