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Critique d’un récent arrêt du Tribunal cantonal vaudois – Le financement des prestations médicales en milieu carcéral

Le Tribunal cantonal vaudois a rendu un arrêt le 11 août 2020, autorisant le prélèvement sur le pécule du détenu de l’argent pour payer des factures de soins médicaux et dentaires. Interloqué, l’Action Maladie Psychique et Prison du Graap a sollicité l’avis de Me Kathrine Gruber, avocate, spécialiste FSA en droit pénal, membre de la Commission des droits humains de l’Ordre des avocats vaudois à Vevey.

En résumé, elle estime que l’Etat viole le principe de l’insaisissabilité du pécule des détenus lorsqu’il instaure un troisième compte « réservé », non prévu par la loi, sur lequel est versé une partie du pécule contre l’avis du détenu, pour financer les frais médicaux non couverts par l’assurance maladie et les primes d’assurance. Aussi bien l’Assemblée générale de l’ONU et le Conseil des Ministres européens, ainsi que l’Académie suisse des sciences médicales et la Société suisse des médecins ont préconisé la gratuité des soins médicaux en prison en vertu du devoir d’assistance de l’Etat envers les personnes détenues.

L’Autorité d’exécution des peines et mesures peut-elle prélever les frais médicaux des détenus, voire les primes d’assurance maladie, sur leur pécule ?

Selon le Code pénal (CP), tout détenu en exécution d’une peine ou d’une mesure est astreint au travail (art. 81 CP). En échange, le détenu a droit à une rémunération, dont il peut disposer en partie durant sa détention. L’autre partie constitue un fonds de réserve dont il disposera à sa libération. La rémunération ne peut être ni saisie, ni séquestrée, ni tomber dans une masse en faillite. Sa cession et son nantissement sont nuls (art. 83 al. 1 et 2 CP).

L’art. 380 CP prévoit que les frais d’exécution des peines et des mesures sont à la charge des cantons, mais que le condamné est astreint à y participer dans une mesure appropriée notamment par compensation de ces frais avec les prestations de travail dans l’établissement d’exécution des peines et des mesures (art. 380 al. 2 lettre a CP).

Selon la littérature, cela signifie concrètement que la rémunération du condamné sera inférieure à un salaire régulier, ce qui est le cas puisque les détenus gagnent en moyenne environ 400 francs par mois et que le Tribunal fédéral a jugé que cette rémunération n’était pas un salaire soumis aux cotisations sociales (ATF 145 V 84). Il appartient aux cantons d’édicter des dispositions afin de préciser les modalités de la participation du condamné aux frais (art. 380 al. 3 CP). On doit déduire de ces dispositions, que l’autorité d’exécution compense les frais d’exécution avec le travail effectué par les détenus vu qu’elle ne leur verse pas un salaire correspondant au travail effectué mais une rémunération bien inférieure à la valeur de ce travail. Ainsi l’autorité d’exécution ne peut pas prélever, en plus de cette compensation – travail payé en dessous de sa valeur – un montant sur la rémunération effective finalement versée aux détenus, pour payer les frais d’exécution – en l’occurrence, les frais médicaux – Cela va à l’encontre du principe de l’insaisissabilité de cette rémunération qui doit servir d’une part à financer les frais quotidiens du détenu dans l’établissement, notamment ses loisirs et son entretien (livres, habillement, soins corporels, frais de formation), à l’exception des frais d’exécution de la peine. L’autre partie de la rémunération est bloquée pour assurer les premiers frais du détenu lors de sa libération. Il s’ensuit que c’est seulement les revenus et la fortune autres que la rémunération de son travail en détention qui peuvent être utilisés dans une mesure appropriée pour payer les frais d’exécution de la peine au sens de l’art. 380 CP.

Les cantons ont édicté des concordats intercantonaux sur l’exécution des peines et des mesures qui contiennent des règles communes concernant l’exécution des peines et mesures. Dans toute la Suisse, il y a trois concordats, dont le concordat latin qui réunit les cantons romands et le Tessin. Ces concordats n’ont cependant pas force de loi. Leur contenu doit être repris dans les différentes législations cantonales pour être applicable.

Le Concordat latin règle les frais médicaux et les frais dentaires à la charge des détenus aux articles. 24 et 25. Selon ces dispositions, la personne détenue prend en charge les coûts des prestations dont elle a bénéficié, lorsque sa situation de fortune ou le produit de son travail le permet. Pour le surplus, la disposition précise que les frais liés au traitement, mais non couverts par le droit fédéral, constituent des frais d’exécution de la peine ou de la mesure et renvoie ainsi à l’art. 380 CP. La Conférence latine des autorités cantonales compétentes en matière d’exécution des peines et des mesures a décidé en 2018 que les frais de santé qui ne font pas partie des prestations de l’assurance maladie de base, les primes d’assurance-maladie, les participations aux coûts (franchise et quote-part) sont à prendre en charge par les personnes détenues dans la mesure de leurs moyens, alors que les personnes non assurées selon la LAMAL sont tenues de participer aux frais médicaux jusqu’à concurrence de la franchise maximale et de la quote-part (décision de la Conférence du 8 novembre 2018, art. 5 et 6).

Dans le canton des Vaud ces dispositions ont été transcrites dans la Loi vaudoise d’exécution des peines et mesures et du Règlement sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure (RSPC) à l’art. 73 qui prévoit en outre que le Service pénitentiaire veille à ce que la personne bénéficie des subsides auxquels elle a droit. La disposition prévoit que les frais restant à la charge des détenus sont supportés par ces derniers dans la mesure de leurs moyens ou à défaut par les débiteurs d’aliments au sens des art. 328 et 329 CC, et seulement ensuite par l’autorité compétente.

La Société suisse de médecine a adressé une lettre ouverte aux autorités pénitentiaires suisses en dénonçant cette pratique. Les médecins relèvent notamment ce qui suit : « les prestations médicales en prison doivent être équivalentes à celles dont bénéficie la population générale. Peu importe si un détenu est soumis ou non à la LAMal » (Bulletin des médecins suisses, 2020;101(5):p. 133). La Commission Centrale d’Ethique (CCE) de l’Académie suisse des Sciences Médicales (ASSM) a publié une prise de position au sujet du financement des prestations médicales en milieu carcéral le 15 février 2019, soutenue par le Comité de la Conférence des médecins pénitentiaires suisses (CMPS) le 28 février 2019. La CCE attire l’attention notamment sur le fait que la prise en charge médicale des personnes détenues doit être accessible et gratuite et que ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’une participation adéquate aux frais peut être exigée (chiffre 5). Selon la Commission, « la participation adéquate aux frais ne peut être demandée que si la personne détenue a des revenus conséquents et/ou une fortune élevée. Pour vérifier si tel est le cas, les directives CSIAS (Conférence suisse des institutions d’action sociale) concernant l’obligation d’entretien par les parents proches (ndr art. 328 et 329 CC) peuvent servir d’orientation. Au regard des devoirs de protection et de soins de l’Etat envers les personnes privées de liberté, cette responsabilité financière personnelle limitée dont bénéficie la personne détenue par rapport à une personne non détenue, est acceptable ».

Les Recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes prévoient également que les détenus doivent avoir accès aux services de santé proposés dans le pays sans aucune discrimination fondée sur leur situation juridique (art. 40.3 Rec(2006)2).

L’ONU a également rappelé dans les règles de Nelson Mandela adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 septembre 2015 (United nations UN Standard Minimum Rules for the Treatment of Prisoners (Nelson Mandela Rules)) dans la règle 24.1 : « Les soins médicaux pour les prisonniers constitue une responsabilité de l’Etat. Les détenus doivent pouvoir obtenir des soins médicaux identique à la population en général et doivent avoir accès aux soins médicaux nécessaires gratuitement et sans discrimination en relation avec leur statut légal ».

Or, actuellement en Suisse, il ne fait aucun doute que les détenus étrangers sans permis de séjour sont discriminés par rapport aux détenus suisses et ceux au bénéfice d’un permis de séjour, car ils n’ont ni droit aux prestations de la LAMAL, ni à l’aide sociale et à la prise en charge des primes. En effet, les détenus au bénéfice d’aucune aide pour le paiement des frais médicaux qui doivent payer les frais médicaux à concurrence de la franchise maximale, alors que les détenus au bénéfice de la LAMAL peuvent bénéficier des subventions pour la prime avec la franchise minimale, risquent bien de ne pas pouvoir bénéficier de l’aide médicale dont ils ont besoin et risquent en outre d’être privés des biens de première nécessité (téléphone, télévision, ordinateur,…) que le pécule est censé couvrir selon l’art. 83 CP. Une prisse en charge différente des frais médicaux pour les étrangers sans permis de séjour et les autres détenus a donc bien pour conséquence une discrimination à l’accès des soins basée sur leur statut juridique.

Le Tribunal cantonal vaudois vient de rendre un arrêt sur ces questions (Cf. Arrêt de la chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du 11 août 2020, no 580, SPEN/128/SBA). Il a jugé que les RPE (les Règles pénitentiaires européennes) n’étaient pas applicables car elles traitent de l’accès aux soins et non de la répartition des frais médicaux, une fois les soins prodigués, entre l’Etat et un détenu qui aurait les moyens de les supporter. La Cour a en outre jugé que « les dépenses de santé sont des frais d’exécution au sens de l’art. 380 CP et que par conséquent les détenus peuvent être obligés d’y participer par les règlements fondés sur l’art. 380 al.3 CP. Ainsi, dans la mesure où le recourant conteste le principe même d’une telle participation, il erre. L’art. 60 al. 2 RSPC, qui prévoit que le compte réservé – à ne pas confondre avec le compte bloqué – peut être utilisé, au besoin sans le consentement du détenu, pour les frais de santé non couverts par l’assurance maladie, ne viole pas le droit fédéral». (Cf. Arrêt de la chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du 11 août 2020, no 580, SPEN/128/SBA, cons. 4.4, décision /2020/610).

Ce point de vue est contestable. Prélever des frais d’exécution de la peine sur l’indemnité versée aux détenus viole précisément le Droit fédéral du point de vue de la soussignée. En effet, l’art. 83 CP mentionne seulement deux comptes pour le versement de la rémunération des détenus, à savoir le compte disponible et le compte bloqué. Aucun de ces deux comptes ne peut servir à payer les frais d’exécution de la peine ou de la mesure. De plus, la rémunération est insaisissable. Le Droit cantonal, se fondant sur le Concordat, a introduit un troisième compte, à savoir le « Compte réservé » (art. 60 al. 2 b RSPC). Un tel compte n’est cependant pas prévu par le Droit fédéral. L’arrêt ne motive d’ailleurs nullement sa position, mais se contente d’affirmer que la disposition cantonale ne viole pas le Droit fédéral sans dire sur quelle base, les cantons pourraient introduire un troisième compte non prévu par le Droit fédéral pour payer les frais d’exécution de peine. Cette pratique, illégale de l’avis de la soussignée, omet de prendre en compte le fait que c’est précisément la rémunération inférieure à un salaire normal pour le travail fourni qui constitue déjà la participation aux frais de détention maximale que l’Etat peut exiger des détenus qui travaillent en prison, si ceux-ci ne sont pas au bénéfice d’un autre revenu ou titulaire d’une fortune.

Le Tribunal cantonal fait cependant un pas dans la direction des détenus en précisant dans sa décision qu’il résulte de l’art. 73 al. 2 RSPC que le Service pénitentiaire ne peut pas exiger le remboursement de frais médicaux s’il a omis d’entreprendre les démarches nécessaires pour que le détenu bénéficie des subsides ou aides auxquels il a éventuellement droit pour ces frais ». La Cour a donc inclus « les aides », qui peuvent provenir de l’aide sociale ou des prestations complémentaires pour les détenus au bénéfice d’une rente AI (la prise en charge des frais médicaux non-couverts par l’assurance maladie est en effet une prestation en nature. Or seules les prestations en argent, soit les rentes, sont suspendues durant la détention. L’art. 73 al 2 RSPC ne mentionne pas expressément « les aides », mais ne mentionne que « les subsides » et il est réjouissant que le Tribunal cantonal ait au moins accepté que les subsides au sens de cette disposition incluent aussi les autres aides, comme les prestations en nature des PC pour les détenus au bénéfice d’une rente AI. Mais malheureusement on constate que les Services sociaux des établissements pénitentiaires n’aident en général pas les détenus à obtenir ces aides, ce qui est regrettable et devrait changer.

En conclusion, il ne suffit pas, de l’avis de la soussignée, que les autorités pénitentiaires fassent toutes les démarches nécessaires pour faire bénéficier les détenus des aides et subsides dont ils ont droit, mais ils ne peuvent à notre avis pas exiger des détenus qu’ils paient des frais médicaux ou des primes d’assurance maladie sur la rémunération qu’ils touchent en détention. Cela résulte clairement du Droit fédéral, à savoir de l’art. 83 CP en relation avec l’art. 380 CP. Nous pensons dès lors que l’instauration par les autorités d’exécution des peines d’un troisième compte, appelé Compte réservé, est contraire à l’art. 83 CP et au principe de l’insaisissabilité du pécule selon la loi sur les poursuites. Cette loi ne saurait être contournée par le fait que l’Etat se substitue à la caisse maladie et aux médecins pour ensuite encaisser les frais médicaux et les primes d’assurance maladie par le biais de l’instauration d’un compte réservé servant à payer ces frais sur le pécule contre le gré des prévenus. Les frais médicaux qui restent à la charge de l’Etat constituent des frais d’exécution des peines et mesures et ne peuvent pas être prélevés sur le pécule des détenus.

KG-déc. 2020

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Critique d’un récent arrêt du Tribunal cantonal vaudois – Le financement des prestations médicales en milieu carcéral

Le Tribunal cantonal vaudois a rendu un arrêt le 11 août 2020, autorisant le prélèvement sur le pécule du détenu de l’argent pour payer des factures de soins médicaux et dentaires. Interloqué, l’Action Maladie Psychique et Prison du Graap a sollicité l’avis de Me Kathrine Gruber, avocate, spécialiste FSA en droit pénal, membre de la Commission des droits humains de l’Ordre des avocats vaudois à Vevey.

En résumé, elle estime que l’Etat viole le principe de l’insaisissabilité du pécule des détenus lorsqu’il instaure un troisième compte « réservé », non prévu par la loi, sur lequel est versé une partie du pécule contre l’avis du détenu, pour financer les frais médicaux non couverts par l’assurance maladie et les primes d’assurance. Aussi bien l’Assemblée générale de l’ONU et le Conseil des Ministres européens, ainsi que l’Académie suisse des sciences médicales et la Société suisse des médecins ont préconisé la gratuité des soins médicaux en prison en vertu du devoir d’assistance de l’Etat envers les personnes détenues.

L’Autorité d’exécution des peines et mesures peut-elle prélever les frais médicaux des détenus, voire les primes d’assurance maladie, sur leur pécule ?

Selon le Code pénal (CP), tout détenu en exécution d’une peine ou d’une mesure est astreint au travail (art. 81 CP). En échange, le détenu a droit à une rémunération, dont il peut disposer en partie durant sa détention. L’autre partie constitue un fonds de réserve dont il disposera à sa libération. La rémunération ne peut être ni saisie, ni séquestrée, ni tomber dans une masse en faillite. Sa cession et son nantissement sont nuls (art. 83 al. 1 et 2 CP).

L’art. 380 CP prévoit que les frais d’exécution des peines et des mesures sont à la charge des cantons, mais que le condamné est astreint à y participer dans une mesure appropriée notamment par compensation de ces frais avec les prestations de travail dans l’établissement d’exécution des peines et des mesures (art. 380 al. 2 lettre a CP).

Selon la littérature, cela signifie concrètement que la rémunération du condamné sera inférieure à un salaire régulier, ce qui est le cas puisque les détenus gagnent en moyenne environ 400 francs par mois et que le Tribunal fédéral a jugé que cette rémunération n’était pas un salaire soumis aux cotisations sociales (ATF 145 V 84). Il appartient aux cantons d’édicter des dispositions afin de préciser les modalités de la participation du condamné aux frais (art. 380 al. 3 CP). On doit déduire de ces dispositions, que l’autorité d’exécution compense les frais d’exécution avec le travail effectué par les détenus vu qu’elle ne leur verse pas un salaire correspondant au travail effectué mais une rémunération bien inférieure à la valeur de ce travail. Ainsi l’autorité d’exécution ne peut pas prélever, en plus de cette compensation – travail payé en dessous de sa valeur – un montant sur la rémunération effective finalement versée aux détenus, pour payer les frais d’exécution – en l’occurrence, les frais médicaux – Cela va à l’encontre du principe de l’insaisissabilité de cette rémunération qui doit servir d’une part à financer les frais quotidiens du détenu dans l’établissement, notamment ses loisirs et son entretien (livres, habillement, soins corporels, frais de formation), à l’exception des frais d’exécution de la peine. L’autre partie de la rémunération est bloquée pour assurer les premiers frais du détenu lors de sa libération. Il s’ensuit que c’est seulement les revenus et la fortune autres que la rémunération de son travail en détention qui peuvent être utilisés dans une mesure appropriée pour payer les frais d’exécution de la peine au sens de l’art. 380 CP.

Les cantons ont édicté des concordats intercantonaux sur l’exécution des peines et des mesures qui contiennent des règles communes concernant l’exécution des peines et mesures. Dans toute la Suisse, il y a trois concordats, dont le concordat latin qui réunit les cantons romands et le Tessin. Ces concordats n’ont cependant pas force de loi. Leur contenu doit être repris dans les différentes législations cantonales pour être applicable.

Le Concordat latin règle les frais médicaux et les frais dentaires à la charge des détenus aux articles. 24 et 25. Selon ces dispositions, la personne détenue prend en charge les coûts des prestations dont elle a bénéficié, lorsque sa situation de fortune ou le produit de son travail le permet. Pour le surplus, la disposition précise que les frais liés au traitement, mais non couverts par le droit fédéral, constituent des frais d’exécution de la peine ou de la mesure et renvoie ainsi à l’art. 380 CP. La Conférence latine des autorités cantonales compétentes en matière d’exécution des peines et des mesures a décidé en 2018 que les frais de santé qui ne font pas partie des prestations de l’assurance maladie de base, les primes d’assurance-maladie, les participations aux coûts (franchise et quote-part) sont à prendre en charge par les personnes détenues dans la mesure de leurs moyens, alors que les personnes non assurées selon la LAMAL sont tenues de participer aux frais médicaux jusqu’à concurrence de la franchise maximale et de la quote-part (décision de la Conférence du 8 novembre 2018, art. 5 et 6).

Dans le canton des Vaud ces dispositions ont été transcrites dans la Loi vaudoise d’exécution des peines et mesures et du Règlement sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure (RSPC) à l’art. 73 qui prévoit en outre que le Service pénitentiaire veille à ce que la personne bénéficie des subsides auxquels elle a droit. La disposition prévoit que les frais restant à la charge des détenus sont supportés par ces derniers dans la mesure de leurs moyens ou à défaut par les débiteurs d’aliments au sens des art. 328 et 329 CC, et seulement ensuite par l’autorité compétente.

La Société suisse de médecine a adressé une lettre ouverte aux autorités pénitentiaires suisses en dénonçant cette pratique. Les médecins relèvent notamment ce qui suit : « les prestations médicales en prison doivent être équivalentes à celles dont bénéficie la population générale. Peu importe si un détenu est soumis ou non à la LAMal » (Bulletin des médecins suisses, 2020;101(5):p. 133). La Commission Centrale d’Ethique (CCE) de l’Académie suisse des Sciences Médicales (ASSM) a publié une prise de position au sujet du financement des prestations médicales en milieu carcéral le 15 février 2019, soutenue par le Comité de la Conférence des médecins pénitentiaires suisses (CMPS) le 28 février 2019. La CCE attire l’attention notamment sur le fait que la prise en charge médicale des personnes détenues doit être accessible et gratuite et que ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’une participation adéquate aux frais peut être exigée (chiffre 5). Selon la Commission, « la participation adéquate aux frais ne peut être demandée que si la personne détenue a des revenus conséquents et/ou une fortune élevée. Pour vérifier si tel est le cas, les directives CSIAS (Conférence suisse des institutions d’action sociale) concernant l’obligation d’entretien par les parents proches (ndr art. 328 et 329 CC) peuvent servir d’orientation. Au regard des devoirs de protection et de soins de l’Etat envers les personnes privées de liberté, cette responsabilité financière personnelle limitée dont bénéficie la personne détenue par rapport à une personne non détenue, est acceptable ».

Les Recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes prévoient également que les détenus doivent avoir accès aux services de santé proposés dans le pays sans aucune discrimination fondée sur leur situation juridique (art. 40.3 Rec(2006)2).

L’ONU a également rappelé dans les règles de Nelson Mandela adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 septembre 2015 (United nations UN Standard Minimum Rules for the Treatment of Prisoners (Nelson Mandela Rules)) dans la règle 24.1 : « Les soins médicaux pour les prisonniers constitue une responsabilité de l’Etat. Les détenus doivent pouvoir obtenir des soins médicaux identique à la population en général et doivent avoir accès aux soins médicaux nécessaires gratuitement et sans discrimination en relation avec leur statut légal ».

Or, actuellement en Suisse, il ne fait aucun doute que les détenus étrangers sans permis de séjour sont discriminés par rapport aux détenus suisses et ceux au bénéfice d’un permis de séjour, car ils n’ont ni droit aux prestations de la LAMAL, ni à l’aide sociale et à la prise en charge des primes. En effet, les détenus au bénéfice d’aucune aide pour le paiement des frais médicaux qui doivent payer les frais médicaux à concurrence de la franchise maximale, alors que les détenus au bénéfice de la LAMAL peuvent bénéficier des subventions pour la prime avec la franchise minimale, risquent bien de ne pas pouvoir bénéficier de l’aide médicale dont ils ont besoin et risquent en outre d’être privés des biens de première nécessité (téléphone, télévision, ordinateur,…) que le pécule est censé couvrir selon l’art. 83 CP. Une prisse en charge différente des frais médicaux pour les étrangers sans permis de séjour et les autres détenus a donc bien pour conséquence une discrimination à l’accès des soins basée sur leur statut juridique.

Le Tribunal cantonal vaudois vient de rendre un arrêt sur ces questions (Cf. Arrêt de la chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du 11 août 2020, no 580, SPEN/128/SBA). Il a jugé que les RPE (les Règles pénitentiaires européennes) n’étaient pas applicables car elles traitent de l’accès aux soins et non de la répartition des frais médicaux, une fois les soins prodigués, entre l’Etat et un détenu qui aurait les moyens de les supporter. La Cour a en outre jugé que « les dépenses de santé sont des frais d’exécution au sens de l’art. 380 CP et que par conséquent les détenus peuvent être obligés d’y participer par les règlements fondés sur l’art. 380 al.3 CP. Ainsi, dans la mesure où le recourant conteste le principe même d’une telle participation, il erre. L’art. 60 al. 2 RSPC, qui prévoit que le compte réservé – à ne pas confondre avec le compte bloqué – peut être utilisé, au besoin sans le consentement du détenu, pour les frais de santé non couverts par l’assurance maladie, ne viole pas le droit fédéral». (Cf. Arrêt de la chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du 11 août 2020, no 580, SPEN/128/SBA, cons. 4.4, décision /2020/610).

Ce point de vue est contestable. Prélever des frais d’exécution de la peine sur l’indemnité versée aux détenus viole précisément le Droit fédéral du point de vue de la soussignée. En effet, l’art. 83 CP mentionne seulement deux comptes pour le versement de la rémunération des détenus, à savoir le compte disponible et le compte bloqué. Aucun de ces deux comptes ne peut servir à payer les frais d’exécution de la peine ou de la mesure. De plus, la rémunération est insaisissable. Le Droit cantonal, se fondant sur le Concordat, a introduit un troisième compte, à savoir le « Compte réservé » (art. 60 al. 2 b RSPC). Un tel compte n’est cependant pas prévu par le Droit fédéral. L’arrêt ne motive d’ailleurs nullement sa position, mais se contente d’affirmer que la disposition cantonale ne viole pas le Droit fédéral sans dire sur quelle base, les cantons pourraient introduire un troisième compte non prévu par le Droit fédéral pour payer les frais d’exécution de peine. Cette pratique, illégale de l’avis de la soussignée, omet de prendre en compte le fait que c’est précisément la rémunération inférieure à un salaire normal pour le travail fourni qui constitue déjà la participation aux frais de détention maximale que l’Etat peut exiger des détenus qui travaillent en prison, si ceux-ci ne sont pas au bénéfice d’un autre revenu ou titulaire d’une fortune.

Le Tribunal cantonal fait cependant un pas dans la direction des détenus en précisant dans sa décision qu’il résulte de l’art. 73 al. 2 RSPC que le Service pénitentiaire ne peut pas exiger le remboursement de frais médicaux s’il a omis d’entreprendre les démarches nécessaires pour que le détenu bénéficie des subsides ou aides auxquels il a éventuellement droit pour ces frais ». La Cour a donc inclus « les aides », qui peuvent provenir de l’aide sociale ou des prestations complémentaires pour les détenus au bénéfice d’une rente AI (la prise en charge des frais médicaux non-couverts par l’assurance maladie est en effet une prestation en nature. Or seules les prestations en argent, soit les rentes, sont suspendues durant la détention. L’art. 73 al 2 RSPC ne mentionne pas expressément « les aides », mais ne mentionne que « les subsides » et il est réjouissant que le Tribunal cantonal ait au moins accepté que les subsides au sens de cette disposition incluent aussi les autres aides, comme les prestations en nature des PC pour les détenus au bénéfice d’une rente AI. Mais malheureusement on constate que les Services sociaux des établissements pénitentiaires n’aident en général pas les détenus à obtenir ces aides, ce qui est regrettable et devrait changer.

En conclusion, il ne suffit pas, de l’avis de la soussignée, que les autorités pénitentiaires fassent toutes les démarches nécessaires pour faire bénéficier les détenus des aides et subsides dont ils ont droit, mais ils ne peuvent à notre avis pas exiger des détenus qu’ils paient des frais médicaux ou des primes d’assurance maladie sur la rémunération qu’ils touchent en détention. Cela résulte clairement du Droit fédéral, à savoir de l’art. 83 CP en relation avec l’art. 380 CP. Nous pensons dès lors que l’instauration par les autorités d’exécution des peines d’un troisième compte, appelé Compte réservé, est contraire à l’art. 83 CP et au principe de l’insaisissabilité du pécule selon la loi sur les poursuites. Cette loi ne saurait être contournée par le fait que l’Etat se substitue à la caisse maladie et aux médecins pour ensuite encaisser les frais médicaux et les primes d’assurance maladie par le biais de l’instauration d’un compte réservé servant à payer ces frais sur le pécule contre le gré des prévenus. Les frais médicaux qui restent à la charge de l’Etat constituent des frais d’exécution des peines et mesures et ne peuvent pas être prélevés sur le pécule des détenus.

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