Derrière le patient, l’homme

Intervention de Madeleine Pont, directrice du GraapCongrès Lyon, 24 novembre 1997

Regard des patients et proches sur la qualité des soins

C’est avec plaisir que nous participons à ces journées sur la qualité des soins. Cette invitation est pour nous non seulement l’occasion de nous exprimer, mais confirme aussi la notion de partenariat : les patients et les proches jouent ainsi leur carte dans cette réflexion.

Présentation

Créé en 1987, le GRAAP, Groupe d’accueil et d’action psychiatrique, est une association de plus de 500 personnes souffrant de troubles psychiques ainsi que quelques 150 proches.

Travaillant en cogestion, nous avons créé des groupes de discussion, mis sur pied des congrès. Nous éditons des journaux dont l’un spécialisé en psychiatrie, le Tout Comme Vous. Nous avons développé des activités d’animation culturelle et sportive ainsi qu’une quinzaine d’ateliers protégés tous plus variés les uns que les autres. Plusieurs de ces activités sont sous la responsabilité des patients et de proches.
Dans ce contexte, nous exploitons un restaurant, ouvert au public, Au Grain de Sel. La dernière-née de nos réalisations est une petite épicerie sur le site de l’hôpital psychiatrique.

Travaillant tous bénévolement, au départ, nous avons maintenant un budget de plus de deux millions et demi de francs suisses. Notre comité est composé de 14 patients psychiques au bénéfice d’une rente AI et d’une proche.

Se poser en partenaire

Notre première action a été d’offrir un lieu de rencontre, mettre sur pied une structure d’accueil. C’est à dire un lieu où l’on peut se sentir mieux qu’à la maison. Un endroit où l’on peut parler, être compris au-delà de tout jugement, où l’on trouve de la compassion, de l’amitié, de la générosité. Une fois créée, cette petite communauté de personnes concernées par les troubles psychiques, il nous restait à ne pas nous enfermer dans le ghetto de la folie. Nous décidions de mettre notre grain de sel dans la vie publique, de répondre au besoin de tout être humain d’exister, de jouer un rôle au niveau social. Nous voulions apprendre, les responsabilités individuelles et sociales, ne pas rester dans l’ombre des institutions, des médecins et des soignants. Nous voulions nous situer en partenaire, tant sur le plan individuel – le traitement médical par exemple – qu’ au niveau des problèmes plus généraux comme la santé publique.

Une bonne image de soi

Pour y parvenir, nous devions nous refaire une santé morale, nous devions modifier le regard porté sur nous-mêmes. Nous refusions le regard où nous sommes considérés uniquement comme des bénéficiaires de soins, d’assistance financière, de rente, de travail au rabais, de tutelle. La réputation de fou dangereux, violeur, irresponsable, incapable, parasite de notre société, détraqué, forcené, etc., ne correspondait pas à notre vécu. Nous ne nous reconnaissions pas dans ces portraits entachés de mépris et de honte.
Ensemble, nous pouvions relever la tête et considérer l’expérience de la maladie non seulement comme une souffrance, mais aussi comme une richesse où puiser un autre savoir-vivre. Nous voulions nous constituer en partenaire. Nous nous convainquions que nous avons quelque chose d’important à dire, que notre expérience a une valeur et est digne d’intérêt pour les autres. Nous revendiquions alors ce rôle de partenaire. Partenaire de notre traitement en tant qu’individu, tout comme partenaire social en tant qu’association.

Partenaire pour quoi ?

Prendre conscience de sa valeur, c’est constuire une meilleure image de soi, c’est affirmer que sa vie a un sens. C’est répondre à cette question: à quoi cela sert-il de se lever le matin? Savoir pour quoi on vit, définir un projet personnel, s’engager pour le réaliser, c’est tout un programme et l’objet de nos rencontres du lundi soir. La réussite, la rentabilité, l’aisance économique, le statut professionnel sont des valeurs qui ne nous concernent pas autant que l’amitié, la solidarité, l’entraide, la spiritualité, la beauté de la nature, la poésie, l’art… C’est comme si la maladie nous avait décanté du superflu et que, confrontés à la remise en question fondamentale de notre existence par la cohabitation plus ou moins constante avec l’idée de la mort, nous n’avions plus de temps à perdre, sauf pour l’essentiel: trouver du sens.

S’affirmer partenaire, c’est s’engager

Répondre à cette question est une étape nécessaire pour le traitement en psychiatrie. On ne peut pas vouloir le bonheur des gens malgré eux, ce dicton est particulièrement vrai pour les patients psychiques.
Le partenariat est une espèce de contrat d’engagement dans la vie, qui pose ses conditions: chacun doit avoir ses propres objectifs, qu’il négociera pour un but commun. Les patients ne veulent plus que des choses soient faire pour leur bien, pour eux. Il faut remplacer le mot pour par avec. Le partenariat, au niveau des soins, exige ce temps d’arrêt où ensemble l’on parvient à définir les enjeux, à préciser les moyens.

Constat

Gentillesse
Ecorchés à vif par la vie, nous avons besoin de bonté, de générosité. Fragilisés par la maladie, nous savons que seuls, nous sommes perdus et que les autres peuvent nous aider à survivre. L’amitié, la solidarité sont des points d’ancrage dans notre existence. Christian, l’un de nos membres résumerait ainsi ce que l’on entend par des soins de qualité : «Lorsque nous allons mal, que nous sommes en crise, délirants, inconscients de la réalité et de ce qui se passe, nous gardons notre sensibilité – elle est même hyperaiguëe – et nous nous souvenons très bien de ce qui arrive – affectivement parlant. Alors la chose qui compte le plus, ce n’est pas que le traitement soit forcé ou non, ce n’est pas que l’hospitalisation soit imposée, c’est que les intervenants, policiers, médecins, infirmiers soient gentils avec nous. Dans ce simple mot, nous y mettons patience, générosité, respect, dignité, espoir.»

Respect
Ce n’est certainement pas qu’en Suisse que l’on peut entendre ce genre de plaintes : «Peux-tu me dire pourquoi ils avaient besoin de me déshabiller et de me parler comme si j’étais devenue débile mentale ?» Ou encore «Ils se sont mis à me tutoyer, me rudoyer comme si j’étais un grossier personnage, c’est vrai que je suis alcoolique, mais pourquoi me le jeter à la figure.»

Écoute
Perdre la tête, sentir les idées qui deviennent confuses, crée en soi un affolement que seul le comportement de l’entourage peut calmer un tant soi peu. Et pourtant, les patients se plaingnent de manque de contact, de discussion, de compréhension, d’échange avec le personnel soignant, leur disponibilité pour écouter, rassurer, rappeler la réalité aux personnes en prise avec leurs délires est comptée : «Trop de colloques entre eux, et pas assez de temps pour nous.» Si dans une division de chirurgie, le premier outil est le bistouri, en psychiatrie, c’est la relation.

Information
Par qualité des soins, on entend recevoir une bonne information : «Les infirmiers sont maladroits pour nous expliquer simplement les choses et pourtant, on a tellement besoin de comprendre, de savoir ce qui se passe dans notre tête, qu’est-ce qui nous prend, pourquoi on délire. On a besoin de connaître mieux le mécanisme des médicaments. On nous explique maintenant, c’est mieux qu’il y a cinq ans. Mais, je regrette, moi j’ai besoin qu’on m’explique plusieurs fois les choses, je ne comprends pas tout d’un coup.On a l’impression que les infirmiers n’ont pas le temps de discuter, certains en auraient envie, mais ils sont pressés, ont plus urgent à faire, alors les explications sont raccourcies, on fait pression sur nous pour qu’on leur fasse confiance et basta. On nous dirige contre notre gré, on ne nous demandait notre avis que pour nous dire: vous êtes d’accord, n’est-ce pas?» «En fait, on n’a pas le choix, le personnel soignant ne connaît pas assez les principes des relations de partenaires. Une vraie relation de partenaires demande du temps pour négocier. En ont-ils, du temps ?»

Entraide
Lors d’une de nos rencontres du mercredi, Viviane nous racontait :
«Je me rappelle que c’est Pascal du GRAAP qui a fait le nécessaire pour m’hospitaliser et il a bien fait. Je m’épuisais à lutter contre le diable, qui chaque jour, personnellement venait me torturer. Je vivais l’enfer. Ici Au Grain de Sel, je hurlais ma haine. Vous, les membres du GRAAP qui veniez me rendre visite, n’avez rien dit. Mais vous n’avez pas fui. Vous étiez là dans l’ambulance. Vous étiez là, à l’hôpital. Puis, les jours suivants, vous m’avez apporté ma robe de chambre, ma brosse à dents. Vous vous asseyiez à côté de mon lit. Je ne disais rien. Vous ne disiez rien, mais, vous étiez là. Maintenant, moi aussi, je suis là, pour les autres.»

L’attachement, une mesure antithérapeutique
Ces dernières années de plus en plus de patients se plaignent d’être attaché à leur lit, dans des conditions qui sont anormales, injustifiées du point de vue du sens commun. Nous avons décidé de dénoncer publiquement l’attachement des patients psychiques à leur lit. Le partenariat n’est pas un droit que nous accorde les soignants, mais une responsabilité que les patients et les proches doivent apprendre à prendre. A la suite de cette dénonciation, le Conseiller d’Etat à la santé publique a nommé une commission qui a pour mission de revoir la loi sanitaire vaudoise. Le GRAAP fait partie de cette commission. Il revendique entre autre une modification de la loi interdisant l’attachement des patients psychiques.

Le traitement de la folie met en évidence les réelles compétences et qualités des soignants en matière de relations humaines. Le malade, ayant débranché avec le rationnel, laisse le champ libre à l’expression des sentiments les plus fous, y compris la violence. Le professionnel, de par sa formation, doit être capable de maîtriser ses propres réactions et utiliser les moyens aptes à gérer ces situations de manière adéquate.
Plusieurs cantons romands ont interdit l’attachement des patients psychiques à leur lit et ne pratiquent plus cette mesure depuis de nombreuses années. Par contre à Lausanne, à Fribourg entre autre, on attache encore. Nous savons qu’en France, c’est aussi le cas.

On ne peut parler de soins de qualité si l’on tolère le principe de l’attachement des patients psychiques.
En effet, on ne peut parler de qualité si la pratique s’autorise à bafouer le respect et la dignité du patient.
Je vous citerai l’histoire de Maurice et de Martin, témoignages qui figurent dans l’un des numéros de notre journal Tout Comme Vous.

Maurice :
Trois policiers sympathiques m’ont pris en charge. Je suis complètement accro à la cigarette et, en sortant de la caserne, ils ont accepté de m’en acheter un paquet au bistrot du coin. Ils m’ont ensuite conduit à l’hôpital et, à l’extérieur, ils ont encore accepté d’attendre un moment pendant que j’en fumais une. Puis ils m’ont fait entrer, ont pris congé en me souhaitant un bon séjour.

Tout content, j’ai été admis à Érable. C’était ma douzième hospitalisation. On a décidé de m’attribuer une chambre isolée, ce qui me convenait.
Malheureusement, un petit problème est survenu. Les infirmiers voulaient absolument me retirer le paquet de cigarettes que les policiers venaient de m’acheter. On a paraît-il négocié pendant deux heures avec moi pour me convaincre de passer la nuit sans cigarettes. Ils ont peur qu’on mette le feu et c’est pourquoi les cigarettes sont distribuées de temps en temps et consommées sous contrôle. Mais moi je faisais une fixation sur la cigarette et eux sur le règlement. Il n’y avait aucun risque pour moi et c’est pour cela que j’ai fini par m’énerver, haussant le ton et tapant du poing sur la table. Sans frapper personne ni rien casser. Ils ont alors pris peur et, hop, en un tournemain, ils m’ont saisi, étendu sur le lit, déshabillé, fait une injection, ceinturé, sanglé les jambes et les bras. Pour cela ils ont fait appel à tous les infirmiers du coin. C’était l’angoisse. Toutes ces blouses blanches autour de moi. Je maillais à mort. Je voyais parmi eux un infirmier que j’aimais bien et je lui disais : «Mais vous êtes aussi dans le coup…» Je le voyais. Il avait une mine gênée et il ne répondait pas. Et puis ils se sont tirés.

Les sangles sont attachées à une barre du lit prévue pour cela, et c’est tendu pauvre ami ! Tu ne bouges plus. Tu as les bras et les jambes bien écartés, totalement impuissant. Tu ne peux pas sonner. La porte est fermée, ils viennent de temps en temps voir ce que tu fais.

Cette répression soudaine était tellement disproportionnée que je n’y comprenais plus rien. Je suis parti dans un délire, dans un cauchemar épouvantable»

Martin
«Il y a quatre ans, j’avais cessé de prendre mes médicaments depuis quelques jours et je ne sortais plus de chez moi. Mes proches se sont inquiétés et ont fait venir les pompiers. Puis un psychiatre m’a fait hospitaliser d’office. A mon entrée à l’hôpital, vers 20 heures, on m’a placé en division fermée sans aucune discussion. Les accords passés lors de mes précédentes hospitalisations n’ont servi à rien. Pourtant tout cela avait été longuement discuté avec les médecins en présence de ma famille et protocolé dans mon dossier: on pouvait me donner n’importe quel médicament sauf du Nosinan. Je ne le supportais pas.
Au lieu de cela, on ne m’a pas permis de voir un médecin qui me connaissait, on n’a pas même consulté mon dossier, on m’a ri au nez et placé en division fermée. Je demandais aussi que l’on téléphone à ma famille mais personne ne l’a fait. J’ai eu le sentiment d’avoir été trompé. La porte s’est refermée et je me suis trouvé face à une équipe qui refusait toute discussion. Aucun médecin n’est venu, on n’écoutait même pas ce que je disais et on m’a tendu, devinez quoi, un godet de Nosinan.

On se fichait de moi et j’ai eu l’impression d’être un poisson pris au filet. Personne ne voulait discuter et tout se passait comme si l’on voulait me faire expier quelque chose, sans autre possibilité pour moi que de subir. J’ai eu peur et j’ai voulu m’enfuir. Ils ont appelé une escouade d’infirmiers qui m’ont immobilisé, sanglé sur un lit et piqué. Cette médication était forte et la manière de l’administrer a décuplé mon angoisse. Je me demandais ce qui m’arrivait. J’avais des perceptions hallucinatoires mais en même temps je pouvais considérer ma situation et en parler avec lucidité. Le dialogue aurait été possible.

Angoissé, éprouvé, pris au piège, je n’ai pas dormi. Je garde aujourd’hui encore un sentiment de profonde injustice Je suis angoissé mais pas violent. On n’a pas voulu discuter mais imposer.

Attacher un patient psychique c’est attenter à sa dignité. C’est une humiliation qui s’ajoute aux souffrances de la maladie. C’est une blessure narcissique qui atteint autant les soignants que les patients. C’est introduire la tension et la crainte dans la division. C’est mettre en évidence, d’une manière dramatique, l’échec de la relation, une mauvaise maîtrise des problèmes liés à l’angoisse, un dérapage inacceptable vers l’escalade de la violence. On est dans un monde situé au antipodes du domaine des soins. Pourtant ces pratiques sont le fait de soignants.

Une psychiatrie plus humaine
Nous voulons une psychiatrie plus humaine où ce genre de pratiques ne soient plus imaginables. La contention et le traitement forcé en psychiatrie sont malheureusement parfois incontournables. Mais leur application doivent se reposer sur des bases légales précises et restrictives. En plus d’un cadre légal protégeant les patients, ceux-ci et leurs proches demandent :

  • d’être entendus, écoutés avec gentillesse, dans un climat chaleureux, de non-jugement et d’espoir ;
  • de bénéficier de temps et de disponibilité, de patience de la part des soignants ;
  • d’être pris au sérieux, dans une relation de partenaire ;
  • de bénéficier d’informations scientifiques sur la maladie et son traitement, qui tiennent compte de leur niveau de connaissance.

L’évolution de notre association et de ses membres nous prouve que le modèle cogestion/partenariat c’est l’avenir. Il oblige à prendre en considération l’homme avec ses forces, ses potentialités, son sens des responsabilités, avant le patient. En se penchant sur l’homme souffrant, on active chez le soignant des sentiments constructeurs telles que compassion et compréhension. C’est dans cette alliance, patient/ proche/équipe soignante, que nous ausculterons la maladie, et mettrons sur pied un plan de traitement efficace et humain.

Derrière le patient, l’homme

Intervention de Madeleine Pont, directrice du GraapCongrès Lyon, 24 novembre 1997

Regard des patients et proches sur la qualité des soins

C’est avec plaisir que nous participons à ces journées sur la qualité des soins. Cette invitation est pour nous non seulement l’occasion de nous exprimer, mais confirme aussi la notion de partenariat : les patients et les proches jouent ainsi leur carte dans cette réflexion.

Présentation

Créé en 1987, le GRAAP, Groupe d’accueil et d’action psychiatrique, est une association de plus de 500 personnes souffrant de troubles psychiques ainsi que quelques 150 proches.

Travaillant en cogestion, nous avons créé des groupes de discussion, mis sur pied des congrès. Nous éditons des journaux dont l’un spécialisé en psychiatrie, le Tout Comme Vous. Nous avons développé des activités d’animation culturelle et sportive ainsi qu’une quinzaine d’ateliers protégés tous plus variés les uns que les autres. Plusieurs de ces activités sont sous la responsabilité des patients et de proches.
Dans ce contexte, nous exploitons un restaurant, ouvert au public, Au Grain de Sel. La dernière-née de nos réalisations est une petite épicerie sur le site de l’hôpital psychiatrique.

Travaillant tous bénévolement, au départ, nous avons maintenant un budget de plus de deux millions et demi de francs suisses. Notre comité est composé de 14 patients psychiques au bénéfice d’une rente AI et d’une proche.

Se poser en partenaire

Notre première action a été d’offrir un lieu de rencontre, mettre sur pied une structure d’accueil. C’est à dire un lieu où l’on peut se sentir mieux qu’à la maison. Un endroit où l’on peut parler, être compris au-delà de tout jugement, où l’on trouve de la compassion, de l’amitié, de la générosité. Une fois créée, cette petite communauté de personnes concernées par les troubles psychiques, il nous restait à ne pas nous enfermer dans le ghetto de la folie. Nous décidions de mettre notre grain de sel dans la vie publique, de répondre au besoin de tout être humain d’exister, de jouer un rôle au niveau social. Nous voulions apprendre, les responsabilités individuelles et sociales, ne pas rester dans l’ombre des institutions, des médecins et des soignants. Nous voulions nous situer en partenaire, tant sur le plan individuel – le traitement médical par exemple – qu’ au niveau des problèmes plus généraux comme la santé publique.

Une bonne image de soi

Pour y parvenir, nous devions nous refaire une santé morale, nous devions modifier le regard porté sur nous-mêmes. Nous refusions le regard où nous sommes considérés uniquement comme des bénéficiaires de soins, d’assistance financière, de rente, de travail au rabais, de tutelle. La réputation de fou dangereux, violeur, irresponsable, incapable, parasite de notre société, détraqué, forcené, etc., ne correspondait pas à notre vécu. Nous ne nous reconnaissions pas dans ces portraits entachés de mépris et de honte.
Ensemble, nous pouvions relever la tête et considérer l’expérience de la maladie non seulement comme une souffrance, mais aussi comme une richesse où puiser un autre savoir-vivre. Nous voulions nous constituer en partenaire. Nous nous convainquions que nous avons quelque chose d’important à dire, que notre expérience a une valeur et est digne d’intérêt pour les autres. Nous revendiquions alors ce rôle de partenaire. Partenaire de notre traitement en tant qu’individu, tout comme partenaire social en tant qu’association.

Partenaire pour quoi ?

Prendre conscience de sa valeur, c’est constuire une meilleure image de soi, c’est affirmer que sa vie a un sens. C’est répondre à cette question: à quoi cela sert-il de se lever le matin? Savoir pour quoi on vit, définir un projet personnel, s’engager pour le réaliser, c’est tout un programme et l’objet de nos rencontres du lundi soir. La réussite, la rentabilité, l’aisance économique, le statut professionnel sont des valeurs qui ne nous concernent pas autant que l’amitié, la solidarité, l’entraide, la spiritualité, la beauté de la nature, la poésie, l’art… C’est comme si la maladie nous avait décanté du superflu et que, confrontés à la remise en question fondamentale de notre existence par la cohabitation plus ou moins constante avec l’idée de la mort, nous n’avions plus de temps à perdre, sauf pour l’essentiel: trouver du sens.

S’affirmer partenaire, c’est s’engager

Répondre à cette question est une étape nécessaire pour le traitement en psychiatrie. On ne peut pas vouloir le bonheur des gens malgré eux, ce dicton est particulièrement vrai pour les patients psychiques.
Le partenariat est une espèce de contrat d’engagement dans la vie, qui pose ses conditions: chacun doit avoir ses propres objectifs, qu’il négociera pour un but commun. Les patients ne veulent plus que des choses soient faire pour leur bien, pour eux. Il faut remplacer le mot pour par avec. Le partenariat, au niveau des soins, exige ce temps d’arrêt où ensemble l’on parvient à définir les enjeux, à préciser les moyens.

Constat

Gentillesse
Ecorchés à vif par la vie, nous avons besoin de bonté, de générosité. Fragilisés par la maladie, nous savons que seuls, nous sommes perdus et que les autres peuvent nous aider à survivre. L’amitié, la solidarité sont des points d’ancrage dans notre existence. Christian, l’un de nos membres résumerait ainsi ce que l’on entend par des soins de qualité : «Lorsque nous allons mal, que nous sommes en crise, délirants, inconscients de la réalité et de ce qui se passe, nous gardons notre sensibilité – elle est même hyperaiguëe – et nous nous souvenons très bien de ce qui arrive – affectivement parlant. Alors la chose qui compte le plus, ce n’est pas que le traitement soit forcé ou non, ce n’est pas que l’hospitalisation soit imposée, c’est que les intervenants, policiers, médecins, infirmiers soient gentils avec nous. Dans ce simple mot, nous y mettons patience, générosité, respect, dignité, espoir.»

Respect
Ce n’est certainement pas qu’en Suisse que l’on peut entendre ce genre de plaintes : «Peux-tu me dire pourquoi ils avaient besoin de me déshabiller et de me parler comme si j’étais devenue débile mentale ?» Ou encore «Ils se sont mis à me tutoyer, me rudoyer comme si j’étais un grossier personnage, c’est vrai que je suis alcoolique, mais pourquoi me le jeter à la figure.»

Écoute
Perdre la tête, sentir les idées qui deviennent confuses, crée en soi un affolement que seul le comportement de l’entourage peut calmer un tant soi peu. Et pourtant, les patients se plaingnent de manque de contact, de discussion, de compréhension, d’échange avec le personnel soignant, leur disponibilité pour écouter, rassurer, rappeler la réalité aux personnes en prise avec leurs délires est comptée : «Trop de colloques entre eux, et pas assez de temps pour nous.» Si dans une division de chirurgie, le premier outil est le bistouri, en psychiatrie, c’est la relation.

Information
Par qualité des soins, on entend recevoir une bonne information : «Les infirmiers sont maladroits pour nous expliquer simplement les choses et pourtant, on a tellement besoin de comprendre, de savoir ce qui se passe dans notre tête, qu’est-ce qui nous prend, pourquoi on délire. On a besoin de connaître mieux le mécanisme des médicaments. On nous explique maintenant, c’est mieux qu’il y a cinq ans. Mais, je regrette, moi j’ai besoin qu’on m’explique plusieurs fois les choses, je ne comprends pas tout d’un coup.On a l’impression que les infirmiers n’ont pas le temps de discuter, certains en auraient envie, mais ils sont pressés, ont plus urgent à faire, alors les explications sont raccourcies, on fait pression sur nous pour qu’on leur fasse confiance et basta. On nous dirige contre notre gré, on ne nous demandait notre avis que pour nous dire: vous êtes d’accord, n’est-ce pas?» «En fait, on n’a pas le choix, le personnel soignant ne connaît pas assez les principes des relations de partenaires. Une vraie relation de partenaires demande du temps pour négocier. En ont-ils, du temps ?»

Entraide
Lors d’une de nos rencontres du mercredi, Viviane nous racontait :
«Je me rappelle que c’est Pascal du GRAAP qui a fait le nécessaire pour m’hospitaliser et il a bien fait. Je m’épuisais à lutter contre le diable, qui chaque jour, personnellement venait me torturer. Je vivais l’enfer. Ici Au Grain de Sel, je hurlais ma haine. Vous, les membres du GRAAP qui veniez me rendre visite, n’avez rien dit. Mais vous n’avez pas fui. Vous étiez là dans l’ambulance. Vous étiez là, à l’hôpital. Puis, les jours suivants, vous m’avez apporté ma robe de chambre, ma brosse à dents. Vous vous asseyiez à côté de mon lit. Je ne disais rien. Vous ne disiez rien, mais, vous étiez là. Maintenant, moi aussi, je suis là, pour les autres.»

L’attachement, une mesure antithérapeutique
Ces dernières années de plus en plus de patients se plaignent d’être attaché à leur lit, dans des conditions qui sont anormales, injustifiées du point de vue du sens commun. Nous avons décidé de dénoncer publiquement l’attachement des patients psychiques à leur lit. Le partenariat n’est pas un droit que nous accorde les soignants, mais une responsabilité que les patients et les proches doivent apprendre à prendre. A la suite de cette dénonciation, le Conseiller d’Etat à la santé publique a nommé une commission qui a pour mission de revoir la loi sanitaire vaudoise. Le GRAAP fait partie de cette commission. Il revendique entre autre une modification de la loi interdisant l’attachement des patients psychiques.

Le traitement de la folie met en évidence les réelles compétences et qualités des soignants en matière de relations humaines. Le malade, ayant débranché avec le rationnel, laisse le champ libre à l’expression des sentiments les plus fous, y compris la violence. Le professionnel, de par sa formation, doit être capable de maîtriser ses propres réactions et utiliser les moyens aptes à gérer ces situations de manière adéquate.
Plusieurs cantons romands ont interdit l’attachement des patients psychiques à leur lit et ne pratiquent plus cette mesure depuis de nombreuses années. Par contre à Lausanne, à Fribourg entre autre, on attache encore. Nous savons qu’en France, c’est aussi le cas.

On ne peut parler de soins de qualité si l’on tolère le principe de l’attachement des patients psychiques.
En effet, on ne peut parler de qualité si la pratique s’autorise à bafouer le respect et la dignité du patient.
Je vous citerai l’histoire de Maurice et de Martin, témoignages qui figurent dans l’un des numéros de notre journal Tout Comme Vous.

Maurice :
Trois policiers sympathiques m’ont pris en charge. Je suis complètement accro à la cigarette et, en sortant de la caserne, ils ont accepté de m’en acheter un paquet au bistrot du coin. Ils m’ont ensuite conduit à l’hôpital et, à l’extérieur, ils ont encore accepté d’attendre un moment pendant que j’en fumais une. Puis ils m’ont fait entrer, ont pris congé en me souhaitant un bon séjour.

Tout content, j’ai été admis à Érable. C’était ma douzième hospitalisation. On a décidé de m’attribuer une chambre isolée, ce qui me convenait.
Malheureusement, un petit problème est survenu. Les infirmiers voulaient absolument me retirer le paquet de cigarettes que les policiers venaient de m’acheter. On a paraît-il négocié pendant deux heures avec moi pour me convaincre de passer la nuit sans cigarettes. Ils ont peur qu’on mette le feu et c’est pourquoi les cigarettes sont distribuées de temps en temps et consommées sous contrôle. Mais moi je faisais une fixation sur la cigarette et eux sur le règlement. Il n’y avait aucun risque pour moi et c’est pour cela que j’ai fini par m’énerver, haussant le ton et tapant du poing sur la table. Sans frapper personne ni rien casser. Ils ont alors pris peur et, hop, en un tournemain, ils m’ont saisi, étendu sur le lit, déshabillé, fait une injection, ceinturé, sanglé les jambes et les bras. Pour cela ils ont fait appel à tous les infirmiers du coin. C’était l’angoisse. Toutes ces blouses blanches autour de moi. Je maillais à mort. Je voyais parmi eux un infirmier que j’aimais bien et je lui disais : «Mais vous êtes aussi dans le coup…» Je le voyais. Il avait une mine gênée et il ne répondait pas. Et puis ils se sont tirés.

Les sangles sont attachées à une barre du lit prévue pour cela, et c’est tendu pauvre ami ! Tu ne bouges plus. Tu as les bras et les jambes bien écartés, totalement impuissant. Tu ne peux pas sonner. La porte est fermée, ils viennent de temps en temps voir ce que tu fais.

Cette répression soudaine était tellement disproportionnée que je n’y comprenais plus rien. Je suis parti dans un délire, dans un cauchemar épouvantable»

Martin
«Il y a quatre ans, j’avais cessé de prendre mes médicaments depuis quelques jours et je ne sortais plus de chez moi. Mes proches se sont inquiétés et ont fait venir les pompiers. Puis un psychiatre m’a fait hospitaliser d’office. A mon entrée à l’hôpital, vers 20 heures, on m’a placé en division fermée sans aucune discussion. Les accords passés lors de mes précédentes hospitalisations n’ont servi à rien. Pourtant tout cela avait été longuement discuté avec les médecins en présence de ma famille et protocolé dans mon dossier: on pouvait me donner n’importe quel médicament sauf du Nosinan. Je ne le supportais pas.
Au lieu de cela, on ne m’a pas permis de voir un médecin qui me connaissait, on n’a pas même consulté mon dossier, on m’a ri au nez et placé en division fermée. Je demandais aussi que l’on téléphone à ma famille mais personne ne l’a fait. J’ai eu le sentiment d’avoir été trompé. La porte s’est refermée et je me suis trouvé face à une équipe qui refusait toute discussion. Aucun médecin n’est venu, on n’écoutait même pas ce que je disais et on m’a tendu, devinez quoi, un godet de Nosinan.

On se fichait de moi et j’ai eu l’impression d’être un poisson pris au filet. Personne ne voulait discuter et tout se passait comme si l’on voulait me faire expier quelque chose, sans autre possibilité pour moi que de subir. J’ai eu peur et j’ai voulu m’enfuir. Ils ont appelé une escouade d’infirmiers qui m’ont immobilisé, sanglé sur un lit et piqué. Cette médication était forte et la manière de l’administrer a décuplé mon angoisse. Je me demandais ce qui m’arrivait. J’avais des perceptions hallucinatoires mais en même temps je pouvais considérer ma situation et en parler avec lucidité. Le dialogue aurait été possible.

Angoissé, éprouvé, pris au piège, je n’ai pas dormi. Je garde aujourd’hui encore un sentiment de profonde injustice Je suis angoissé mais pas violent. On n’a pas voulu discuter mais imposer.

Attacher un patient psychique c’est attenter à sa dignité. C’est une humiliation qui s’ajoute aux souffrances de la maladie. C’est une blessure narcissique qui atteint autant les soignants que les patients. C’est introduire la tension et la crainte dans la division. C’est mettre en évidence, d’une manière dramatique, l’échec de la relation, une mauvaise maîtrise des problèmes liés à l’angoisse, un dérapage inacceptable vers l’escalade de la violence. On est dans un monde situé au antipodes du domaine des soins. Pourtant ces pratiques sont le fait de soignants.

Une psychiatrie plus humaine
Nous voulons une psychiatrie plus humaine où ce genre de pratiques ne soient plus imaginables. La contention et le traitement forcé en psychiatrie sont malheureusement parfois incontournables. Mais leur application doivent se reposer sur des bases légales précises et restrictives. En plus d’un cadre légal protégeant les patients, ceux-ci et leurs proches demandent :

  • d’être entendus, écoutés avec gentillesse, dans un climat chaleureux, de non-jugement et d’espoir ;
  • de bénéficier de temps et de disponibilité, de patience de la part des soignants ;
  • d’être pris au sérieux, dans une relation de partenaire ;
  • de bénéficier d’informations scientifiques sur la maladie et son traitement, qui tiennent compte de leur niveau de connaissance.

L’évolution de notre association et de ses membres nous prouve que le modèle cogestion/partenariat c’est l’avenir. Il oblige à prendre en considération l’homme avec ses forces, ses potentialités, son sens des responsabilités, avant le patient. En se penchant sur l’homme souffrant, on active chez le soignant des sentiments constructeurs telles que compassion et compréhension. C’est dans cette alliance, patient/ proche/équipe soignante, que nous ausculterons la maladie, et mettrons sur pied un plan de traitement efficace et humain.

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Nouvelles du 31 mai 2024 : 13è Café Prison – où investir nos impôts entre la prison ou l’établissement psychiatrique

1 juin 2024

Madame, Monsieur, Chers Amis, Soigner ou punir, il faut choisir entre l’institution adaptée pour soigner ou la prison qui est pensée pour punir. Ce prochain lundi 3 juin, au Casino de Montbenon à Lausanne dès 18h30, le 13è Café Prison ouvrira...

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