Stigmatisation et déstigmatisation

Intervention Congrès de international de psychiatrie à Genève, Janvier 1997. Par Madeleine Pont

Stigmatisation et destigmatisation. Le point de vue des usagers de la psychiatrie ainsi que de leur entourage

Je suis très honorée et remercie le comité de ce Congrès de m’avoir invité à m’exprimer aujourd’hui.
«Nous les fous…» ainsi s’exprimait devant la presse vaudoise l’un de nos membres, il y a quelques années, soulevant la consternation dans le public et le débat dans notre association.

Oser dire publiquement, à visage découvert que nous avons vécu, que nous vivons l’expérience de la folie, en témoigner sans honte ni culpabilité, sans en faire l’éloge non plus, c’est tout le travail que mène le GRAAP, Groupe d’accueil et d’action psychiatrique, depuis 10 ans.
Modifier l’image de la maladie psychique est l’un des objectifs prioritaires de notre association.
Souffrant de troubles psychiques ou proches de patients, nous connaissons la maniaco-dépression, la paranoïa, les bouffées délirantes, la schizophrénie, l’hébéphrénie et autres troubles aux noms tout aussi barbares. Nous avons tous vécus, comme patients ou proches, les manifestations de la folie. De la peur de perdre pied, jusqu’aux sentiments de n’être plus qu’un chaos, un mort parmi des morts, en passant par toutes sortes d’hallucinations, nous vivons ces expériences-là comme patients. Comme proches, nous assistons, impuissants, paniqués, incrédules à la descente aux enfers, sous nos yeux, de l’un des nôtres qui nous est cher.

Nous sommes un groupe de plus de 600 membres qui militent pour un projet de société où des valeurs telles que la solidarité. la responsabilité et l’entraide priment sur des valeurs matérielles.Nous ne nous sommes pas contenté de dessiner un projet de société, mais avons mis sur pied, en accord avec ces principes, différents types d’actions qui répondent à des besoins fondamentaux exprimés par nos membres.

Ainsi nous, patients et proches, avons mis sur pied, en co-gestion, dans des relations de partenaires avec les divers milieux de l’économie, du domaine politique, de la santé et des affaires sociales :
deux centres d’accueil, un restaurant, un bar à café, des ateliers protégés, des groupes d’entraide et de discussion, des éditions et un service social et juridique, un congrès annuel rassemblant spécialistes, le grand public, patients et proches bien entendu.
Tous bénévoles pendant les trois premières années de notre existence, nous comptons en 1997, 21 salariés, 22 postes de travail pour des personnes en fin de droit du chômage, 50 postes de travail protégés occupés par 200 personnes au bénéfice d’une rente invalidité, notre budget frôle les 2 millions. Par ces actions, nous les fous, nous voulons prouver que nous sommes des citoyens à part entière, responsables, capables de réalisations originales, utiles à notre société. Nous offrons une autre image de la folie. Nous avons apprivoisé notre folie et en avons fait quelque chose d’utile pour nous et pour les autres.

À l’occasion de notre dixième anniversaire, notre comité, composé uniquement de patients et proches, a décidé d’inscrire le mot fou dans le titre de notre congrès qui rassembla plus de 520 personnes provenant de tous horizons : allons-nous tous devenir fous ? Par là, nous voulions dire que la folie nous concerne tous. Qu’à reconnaître la part de folie, de dysfonctionnement, qui habite chacun d’entre nous, nous aurions moins peur de la folie des autres et pourrons alors mieux percevoir leur potentiel de créativité.

Mais en fait qu’est-ce que la folie ? Au GRAAP, nous en donnons trois définitions :

  1. la première, c’est notre expérience : c’est d’abord une grande souffrance, une angoisse terrifiante. Ce sont ces idées bizarres, irrationnelles qui envahissent notre esprit, ce sont ces visions hallucinantes qui déforment la réalité, ce sont ces voix qui nous persécutent ou qui nous donnent des ordres impossibles. Notre logique est en rupture avec la logique du commun des mortels.
  2. la deuxième définition fait appel à des considérations philosophiques: Nous disons volontiers qu’est fou celui qui a perdu le sens de sa vie. C’est en fait la version moderne du psaume 52 : Il est fou celui qui ne croit pas en Dieu.
    À ne pas avoir d’objectifs de vie, on perd le goût de vivre. On n’investit rien ni personne, on perd confiance en soi, on perte l’énergie indispensable pour composer sa journée. On finit par se retirer du monde des humains.
  3. Et la dernière est une définition sociale : c’est l’image qui est véhiculée dans le public. Ce public qui ne garde en mémoire que les sensations fortes, ainsi la folie c’est le fou furieux qui tue, qui viole, une image qui fait peur, qui réveille des angoisses profondes inavouées. C’est cette peur qui freine nos intentions d’aller consulter un psy. Ou de rendre une visite à un ami hospitalisé en psychiatrie.

Au GRAAP, nous nous reconnaissons dans ces trois définitions, nous portons les stigmates de la maladie. Sans refaire l’histoire de la folie -vous pourrez lire l’intervention de Luc Pont dans les actes de notre congrès 1997, Aspects historiques de la folie – je vais tout de même dire que la stigmatisation du fou remonte probablement au moment où l’homme a instauré des règles, une normalité, désignant par là-même l’anormalité. Le fou était l’un de ceux qui ne se comportent pas comme la majorité. L’hérétique, le pauvre, l’infidèle, le délinquant en étaient d’autres. La raison de cette déviance se réfère à diverses causes : la maladie, le caractère de l’individu, la divergence d’opinion politique, ses convictions religieuses, son comportement social. Pour la société, tout comportement déviant est dangereux ; par son existence, il remet en cause la norme établie. Donc il fallait marquer d’infamie, condamner à la honte, dégrader, mettre au banc de la société, brûler, parquer, gazer, enfermer toute personne qui osait ou sortait de la norme établie. Ainsi la personne stigmatisée comme folle a vécu pendant des siècles la honte de l’exclusion du rang des humains. Chaque époque avait son style de répression: religieuse, étatique, médicale. Chacun rivalisait avec l’horreur. Chaque époque, pour sauvegarder l’équilibre de son système sociale et éthique, mutilait de ses déviants.
Ici, maintenant, dans notre canton, la honte, la culpabilité, le silence qui règne autour de la maladie psychique, d’une hospitalisation en psychiatrie sont bien les vilaines cicatrices de ces stigmates. Dernièrement un journal spécialisé de notre région, en voulant faire de la publicité pour notre congrès, illustre son texte avec un bonhomme portant un entonnoir à l’envers, signe méprisant de la folie. A l’école, à la récréation, vous pouvez entendre les enfants s’insulter à coup de : t’es complètement schizo ! Faudrait voir pour appeler l’auto jaune… Les adultes de leur côté expriment leur colère en s’envoyant, selon le milieu auquel ils appartiennent, des gentillesses du genre : tu devrais consulter… un séjour à la grande maison te ferait du bien… ou plus crûment dit : t’es roillé, tu dérailles, il te manque une roue, tu pètes les plombs… et les journalistes parlent de forcenés, de fou furieux, de détraqué. Les parents d’adolescents souffrant de troubles psychiques demandent que l’unité qui est réservée à cette tranche d’âge soit transférée dans le cadre du CHUV, centre hospitalier universitaire vaudois, hôpital de soins physiques. Ce qui sera fait en juin prochain. Actuellement encore, les Etats Unis refusent de nous accorder le visa d’entrée, même en touristes, lorsqu’il apparaît que nous souffrons d’une maladie psychique.
Et nous, au GRAAP, nous disons que la réputation de la maladie psychique fait trop souvent plus de tort que la maladie elle-même.Moqueries, quolibets, mépris, ridiculisation, humiliation, rejet, sont les formes encore actuelles des stigmates qui condamnent les fous.

Le Père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD, le Quart-Monde disait que la valeur d’une société se définit par l’intérêt qu’elle porte au plus fragile de ses membres et nous, nous ajoutons que la valeur d’une société se définit dans sa capacité à compter avec les forces de ses membres les plus faibles, c’est-à-dire à développer des lieux de solidarité, d’apprentissage des responsabilités sociales et personnelles. La folie existe. Elle existe comme maladie. Nous en témoignons par notre souffrance. Nous avons expérimenté notre raison qui déraisonne. Alors appelons un chat un chat. Ainsi seulement nous pourrons entamer un travail de démystification, lutter pour le droit à l’existence de parties folles dans notre personnalité, le droit à des soins adéquats, le droits à une vie décente, le droit au respect que l’on doit à tout homme, quelle que soit son expérience.

Identifier le mal, l’apprivoiser, le maîtriser, et, finalement en faire quelque chose d’utile pour soi et pour les autres nous permettra de gagner en confiance, dignité et respectabilité. Nous regagnerons reconnaissance et considération.

Stigmatisation et déstigmatisation

Intervention Congrès de international de psychiatrie à Genève, Janvier 1997. Par Madeleine Pont

Stigmatisation et destigmatisation. Le point de vue des usagers de la psychiatrie ainsi que de leur entourage

Je suis très honorée et remercie le comité de ce Congrès de m’avoir invité à m’exprimer aujourd’hui.
«Nous les fous…» ainsi s’exprimait devant la presse vaudoise l’un de nos membres, il y a quelques années, soulevant la consternation dans le public et le débat dans notre association.

Oser dire publiquement, à visage découvert que nous avons vécu, que nous vivons l’expérience de la folie, en témoigner sans honte ni culpabilité, sans en faire l’éloge non plus, c’est tout le travail que mène le GRAAP, Groupe d’accueil et d’action psychiatrique, depuis 10 ans.
Modifier l’image de la maladie psychique est l’un des objectifs prioritaires de notre association.
Souffrant de troubles psychiques ou proches de patients, nous connaissons la maniaco-dépression, la paranoïa, les bouffées délirantes, la schizophrénie, l’hébéphrénie et autres troubles aux noms tout aussi barbares. Nous avons tous vécus, comme patients ou proches, les manifestations de la folie. De la peur de perdre pied, jusqu’aux sentiments de n’être plus qu’un chaos, un mort parmi des morts, en passant par toutes sortes d’hallucinations, nous vivons ces expériences-là comme patients. Comme proches, nous assistons, impuissants, paniqués, incrédules à la descente aux enfers, sous nos yeux, de l’un des nôtres qui nous est cher.

Nous sommes un groupe de plus de 600 membres qui militent pour un projet de société où des valeurs telles que la solidarité. la responsabilité et l’entraide priment sur des valeurs matérielles.Nous ne nous sommes pas contenté de dessiner un projet de société, mais avons mis sur pied, en accord avec ces principes, différents types d’actions qui répondent à des besoins fondamentaux exprimés par nos membres.

Ainsi nous, patients et proches, avons mis sur pied, en co-gestion, dans des relations de partenaires avec les divers milieux de l’économie, du domaine politique, de la santé et des affaires sociales :
deux centres d’accueil, un restaurant, un bar à café, des ateliers protégés, des groupes d’entraide et de discussion, des éditions et un service social et juridique, un congrès annuel rassemblant spécialistes, le grand public, patients et proches bien entendu.
Tous bénévoles pendant les trois premières années de notre existence, nous comptons en 1997, 21 salariés, 22 postes de travail pour des personnes en fin de droit du chômage, 50 postes de travail protégés occupés par 200 personnes au bénéfice d’une rente invalidité, notre budget frôle les 2 millions. Par ces actions, nous les fous, nous voulons prouver que nous sommes des citoyens à part entière, responsables, capables de réalisations originales, utiles à notre société. Nous offrons une autre image de la folie. Nous avons apprivoisé notre folie et en avons fait quelque chose d’utile pour nous et pour les autres.

À l’occasion de notre dixième anniversaire, notre comité, composé uniquement de patients et proches, a décidé d’inscrire le mot fou dans le titre de notre congrès qui rassembla plus de 520 personnes provenant de tous horizons : allons-nous tous devenir fous ? Par là, nous voulions dire que la folie nous concerne tous. Qu’à reconnaître la part de folie, de dysfonctionnement, qui habite chacun d’entre nous, nous aurions moins peur de la folie des autres et pourrons alors mieux percevoir leur potentiel de créativité.

Mais en fait qu’est-ce que la folie ? Au GRAAP, nous en donnons trois définitions :

  1. la première, c’est notre expérience : c’est d’abord une grande souffrance, une angoisse terrifiante. Ce sont ces idées bizarres, irrationnelles qui envahissent notre esprit, ce sont ces visions hallucinantes qui déforment la réalité, ce sont ces voix qui nous persécutent ou qui nous donnent des ordres impossibles. Notre logique est en rupture avec la logique du commun des mortels.
  2. la deuxième définition fait appel à des considérations philosophiques: Nous disons volontiers qu’est fou celui qui a perdu le sens de sa vie. C’est en fait la version moderne du psaume 52 : Il est fou celui qui ne croit pas en Dieu.
    À ne pas avoir d’objectifs de vie, on perd le goût de vivre. On n’investit rien ni personne, on perd confiance en soi, on perte l’énergie indispensable pour composer sa journée. On finit par se retirer du monde des humains.
  3. Et la dernière est une définition sociale : c’est l’image qui est véhiculée dans le public. Ce public qui ne garde en mémoire que les sensations fortes, ainsi la folie c’est le fou furieux qui tue, qui viole, une image qui fait peur, qui réveille des angoisses profondes inavouées. C’est cette peur qui freine nos intentions d’aller consulter un psy. Ou de rendre une visite à un ami hospitalisé en psychiatrie.

Au GRAAP, nous nous reconnaissons dans ces trois définitions, nous portons les stigmates de la maladie. Sans refaire l’histoire de la folie -vous pourrez lire l’intervention de Luc Pont dans les actes de notre congrès 1997, Aspects historiques de la folie – je vais tout de même dire que la stigmatisation du fou remonte probablement au moment où l’homme a instauré des règles, une normalité, désignant par là-même l’anormalité. Le fou était l’un de ceux qui ne se comportent pas comme la majorité. L’hérétique, le pauvre, l’infidèle, le délinquant en étaient d’autres. La raison de cette déviance se réfère à diverses causes : la maladie, le caractère de l’individu, la divergence d’opinion politique, ses convictions religieuses, son comportement social. Pour la société, tout comportement déviant est dangereux ; par son existence, il remet en cause la norme établie. Donc il fallait marquer d’infamie, condamner à la honte, dégrader, mettre au banc de la société, brûler, parquer, gazer, enfermer toute personne qui osait ou sortait de la norme établie. Ainsi la personne stigmatisée comme folle a vécu pendant des siècles la honte de l’exclusion du rang des humains. Chaque époque avait son style de répression: religieuse, étatique, médicale. Chacun rivalisait avec l’horreur. Chaque époque, pour sauvegarder l’équilibre de son système sociale et éthique, mutilait de ses déviants.
Ici, maintenant, dans notre canton, la honte, la culpabilité, le silence qui règne autour de la maladie psychique, d’une hospitalisation en psychiatrie sont bien les vilaines cicatrices de ces stigmates. Dernièrement un journal spécialisé de notre région, en voulant faire de la publicité pour notre congrès, illustre son texte avec un bonhomme portant un entonnoir à l’envers, signe méprisant de la folie. A l’école, à la récréation, vous pouvez entendre les enfants s’insulter à coup de : t’es complètement schizo ! Faudrait voir pour appeler l’auto jaune… Les adultes de leur côté expriment leur colère en s’envoyant, selon le milieu auquel ils appartiennent, des gentillesses du genre : tu devrais consulter… un séjour à la grande maison te ferait du bien… ou plus crûment dit : t’es roillé, tu dérailles, il te manque une roue, tu pètes les plombs… et les journalistes parlent de forcenés, de fou furieux, de détraqué. Les parents d’adolescents souffrant de troubles psychiques demandent que l’unité qui est réservée à cette tranche d’âge soit transférée dans le cadre du CHUV, centre hospitalier universitaire vaudois, hôpital de soins physiques. Ce qui sera fait en juin prochain. Actuellement encore, les Etats Unis refusent de nous accorder le visa d’entrée, même en touristes, lorsqu’il apparaît que nous souffrons d’une maladie psychique.
Et nous, au GRAAP, nous disons que la réputation de la maladie psychique fait trop souvent plus de tort que la maladie elle-même.Moqueries, quolibets, mépris, ridiculisation, humiliation, rejet, sont les formes encore actuelles des stigmates qui condamnent les fous.

Le Père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD, le Quart-Monde disait que la valeur d’une société se définit par l’intérêt qu’elle porte au plus fragile de ses membres et nous, nous ajoutons que la valeur d’une société se définit dans sa capacité à compter avec les forces de ses membres les plus faibles, c’est-à-dire à développer des lieux de solidarité, d’apprentissage des responsabilités sociales et personnelles. La folie existe. Elle existe comme maladie. Nous en témoignons par notre souffrance. Nous avons expérimenté notre raison qui déraisonne. Alors appelons un chat un chat. Ainsi seulement nous pourrons entamer un travail de démystification, lutter pour le droit à l’existence de parties folles dans notre personnalité, le droit à des soins adéquats, le droits à une vie décente, le droit au respect que l’on doit à tout homme, quelle que soit son expérience.

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