Noces de coton

Noces de coton (pourrait aussi aller dans témoignages de proches)

 

Nous avions choisi la douceur de vivre du Sud, sa lumière éclatante et sa tramontane vivifiante. Notre maison et son jardin ombragé accueillaient des amis au gré de leurs vacances, certains traversant les océans pour goûter au Rivesaltes et à la crème catalane. Installés entre mer et montagnes depuis un peu plus d’un an dans cette ville dont le peintre a dit : « C’est le centre du monde ! », nous avions trouvé le bonheur et nous le partagions.

 

Nous venions de fêter nos noces de coton, nous avions tout pour être heureux, je le croyais, l’autoportrait de nos mines réjouies pourrait encore en témoigner. Je devais faire un déplacement professionnel, mon voyage ne durerait pas plus de trois jour. Je faisais un aller et retour, tout était tranquille, je n’avais aucune raison de m’inquiéter. Et puis, je m’en souviens bien, au moment de nous dire au revoir, elle avait cet incroyable sourire, le même que sur la photo que j’emportais avec moi. A 600 Km de là, lorsque le téléphone a sonné, le 2e soir, que j’ai entendu « elle a fait une bêtise », je n’ai pas compris. Je ne comprends toujours pas.

 

Les mots « tentative de suicide » n’ont pas été prononcés, ni par elle, ni par sa famille. Quand je suis arrivé à la clinique pour la voir, elle avait encore cet incroyable sourire, comme si on s’était séparé le temps que j’aille faire les courses et que rien n’était arrivé. Si au moins elle avait été au lit, avec une perfusion ou un pansement, j’aurais pu me raccrocher à quelque chose de la réalité. Là, rien. Cette nuit, je l’ai passée à effacer le disque dur de mon ordinateur et à réinstaller les programmes, plusieurs fois. J’ai fait cela plusieurs nuits de suite. Les premières journées, je dormais un peu, je piquais une tête dans la piscine et je me rendais à la clinique en début d’après-midi, pour la voir. Je prenais des photos par dizaines, comme des notes dont on remplit des carnets. Elle avait toujours ce sourire incroyable, on jouait au pingpong, elle me battait. Quelques jours plus tard, des amis sont arrivés de Paris pour leurs vacances d’été, comme prévu, c’était moins difficile de ne plus être seul pendant mes visites à la clinique.

 

On n’a rien changé ou presque de ce qui était prévu, c’est le monde qui avait changé autour de moi. Cet été-là, elle a gardé son incroyable sourire, disait ne pas savoir ce qui lui était arrivé. Elle prenait son traitement, se rendait aux consultations médicales et en revenait avec un bouquet de fleurs. Elle m’a demandé d’installer les appliques lumineuses que nous avions choisies quelques semaines auparavant, emmené son vélo à réparer et nous avons repris nos balades en directions du le littoral. A l’automne, ce sont d’autres amis qui nous ont rendu visite, avec leurs deux petites filles. La vie avait repris son cours, ou presque. On a même reparlé de cet enfant qu’on pourrait avoir, pas maintenant, bien sûr, mais au printemps ou à l’été prochain.

 

Rien de nos projets ne s’est réalisé. Les quinze mois qui ont suivi, elle a fait une seconde, puis une troisième et une quatrième tentative de suicide. Je l’ai vue mourir plusieurs fois, entourée des ambulanciers que je venais d’appeler, ou dans une chambre de soins intensifs. Elle finissait par revenir à elle et pleurait en me demandant pardon. Elle est allée de services d’urgences psychiatriques en cliniques, ici en Suisse et là-bas en France, sans que jamais on ne prononce un diagnostic. Je ne la reconnaissais plus, son incroyable sourire avait disparu, le vieux cerisier dans notre jardin était mort de soif et les traites de la maison n’étaient plus payées. En France, les médecins refusaient de me recevoir, sa famille ne me parlait plus. Ici, en Suisse, ils me demandaient de faire attention à moi, en m’assurant qu’à l’hôpital, elle était en sécurité. Entre deux fugues et deux nouvelles tentatives, oui, sans doute.

 

Très vite, je n’ai plus réussi à livrer les quelques articles qu’ont m’avait commandés pour l’été, j’avais perdu le sommeil. Mes amis s’inquiétaient, me disaient de me protéger, de la quitter, de prendre soin de moi ou d’aller consulter. On m’a prescrit des antidépresseurs qui m’assommaient toute la journée et des somnifères qui restaient sans effet. J’ai traversé cinq mois de nuits blanches et d’angoisses qu’aucun traitement ne parvenait à apaiser. J’ai fini par demander une séparation provisoire en sollicitant l’hôpital pour qu’il prenne ma femme en charge. Je ne pouvais plus garder le quatre pièces que nous avions en location, j’ai dû déménager dans un minuscule studio et déposer mes cartons chez des amis. Fini la belle terrasse donnant sur la rivière, le chant des merles, les soirées entre amis autour d’une grande table. La pièce qui allait me servir de lieu de vie faisait 20 m2, placard et salle de bain compris. C’est là seulement que je me suis rendu compte que j’étais malade à mon tour. Je me sentais plonger, comme disparaître.

 

J’ai eu de la chance. J’ai trouvé un médecin qui m’a écouté et a ajusté mon traitement. Les vertiges ont cessé et le sommeil est revenu peu à peu. Les angoisses ? J’ai oublié aujourd’hui combien de mois se sont écoulés avant qu’elles cessent de me surprendre. Après notre séparation, j’ai voulu parler avec sa famille, essayer de comprendre ce qui avait pu provoquer de tels drames. Déposer mon désarroi, ma culpabilité, aussi. Sa plus proche parente s’est d’abord étonnée que personne ne m’ait rien dit de son passé et de sa maladie, des troubles bipolaires. A notre rencontre, elle prenait du Lithium, elle me l’avait dit en m’expliquant qu’elle se remettait d’une dépression. C’est vrai, je n’ai pas posé de question. Devrai-je reconnaître aujourd’hui que je savais et que je n’ai pas voulu regarder la réalité en face ? J’ai repris mes balades, de plus en plus longues, je me suis raccroché à ce que je connaissais, à mes amis et au traitement que m’a proposé mon médecin. Personne ne m’avait parlé du Graap, ni de groupes de soutien aux proches, sans doute les choses auraient été moins difficiles.

 

Malgré notre divorce, nous sommes restés bons amis et nous avons continué d’échanger quelques nouvelles. Il a fallu plus d’un an pour qu’elle me remercie de lui avoir sauvé la vie et reconnaître qu’elle n’avait plus envie de mourir. Elle va beaucoup mieux. Elle a rencontré un psychiatre un peu plus talentueux ou un plus persuasif que les autres. Elle a accepté de suivre son traitement, elle a vendu la maison, acheté un petit appartement avec la plus value et repris le travail. Moi aussi, je vais mieux. J’ai retrouvé confiance en moi, un appartement, de nouveaux amis, une compagne auprès de qui les choses sont douces. La vie continue. Il y a deux ans, un employeur m’a engagé à un poste intéressant, moins d’un an plus tard, la boite faisait faillite. Il a fallu tout recommencer, m’inscrire au chômage, rédiger des lettres de motivations et tenter de décrocher des entretiens d’embauches. J’ai suivi un cours d’anglais, bénéficié d’un emploi temporaire à un poste de journaliste et ouvert un blog sur lequel je publie au gré de l’inspiration mes images et quelques mots. Depuis la fin de ma dépression et ces longs mois où j’étais en dehors du monde, c’est sans doute cela qui me paraît aujourd’hui le plus difficile, reprendre ma place d’homme debout dans la société. Je continue.

Noces de coton

Noces de coton (pourrait aussi aller dans témoignages de proches)

 

Nous avions choisi la douceur de vivre du Sud, sa lumière éclatante et sa tramontane vivifiante. Notre maison et son jardin ombragé accueillaient des amis au gré de leurs vacances, certains traversant les océans pour goûter au Rivesaltes et à la crème catalane. Installés entre mer et montagnes depuis un peu plus d’un an dans cette ville dont le peintre a dit : « C’est le centre du monde ! », nous avions trouvé le bonheur et nous le partagions.

 

Nous venions de fêter nos noces de coton, nous avions tout pour être heureux, je le croyais, l’autoportrait de nos mines réjouies pourrait encore en témoigner. Je devais faire un déplacement professionnel, mon voyage ne durerait pas plus de trois jour. Je faisais un aller et retour, tout était tranquille, je n’avais aucune raison de m’inquiéter. Et puis, je m’en souviens bien, au moment de nous dire au revoir, elle avait cet incroyable sourire, le même que sur la photo que j’emportais avec moi. A 600 Km de là, lorsque le téléphone a sonné, le 2e soir, que j’ai entendu « elle a fait une bêtise », je n’ai pas compris. Je ne comprends toujours pas.

 

Les mots « tentative de suicide » n’ont pas été prononcés, ni par elle, ni par sa famille. Quand je suis arrivé à la clinique pour la voir, elle avait encore cet incroyable sourire, comme si on s’était séparé le temps que j’aille faire les courses et que rien n’était arrivé. Si au moins elle avait été au lit, avec une perfusion ou un pansement, j’aurais pu me raccrocher à quelque chose de la réalité. Là, rien. Cette nuit, je l’ai passée à effacer le disque dur de mon ordinateur et à réinstaller les programmes, plusieurs fois. J’ai fait cela plusieurs nuits de suite. Les premières journées, je dormais un peu, je piquais une tête dans la piscine et je me rendais à la clinique en début d’après-midi, pour la voir. Je prenais des photos par dizaines, comme des notes dont on remplit des carnets. Elle avait toujours ce sourire incroyable, on jouait au pingpong, elle me battait. Quelques jours plus tard, des amis sont arrivés de Paris pour leurs vacances d’été, comme prévu, c’était moins difficile de ne plus être seul pendant mes visites à la clinique.

 

On n’a rien changé ou presque de ce qui était prévu, c’est le monde qui avait changé autour de moi. Cet été-là, elle a gardé son incroyable sourire, disait ne pas savoir ce qui lui était arrivé. Elle prenait son traitement, se rendait aux consultations médicales et en revenait avec un bouquet de fleurs. Elle m’a demandé d’installer les appliques lumineuses que nous avions choisies quelques semaines auparavant, emmené son vélo à réparer et nous avons repris nos balades en directions du le littoral. A l’automne, ce sont d’autres amis qui nous ont rendu visite, avec leurs deux petites filles. La vie avait repris son cours, ou presque. On a même reparlé de cet enfant qu’on pourrait avoir, pas maintenant, bien sûr, mais au printemps ou à l’été prochain.

 

Rien de nos projets ne s’est réalisé. Les quinze mois qui ont suivi, elle a fait une seconde, puis une troisième et une quatrième tentative de suicide. Je l’ai vue mourir plusieurs fois, entourée des ambulanciers que je venais d’appeler, ou dans une chambre de soins intensifs. Elle finissait par revenir à elle et pleurait en me demandant pardon. Elle est allée de services d’urgences psychiatriques en cliniques, ici en Suisse et là-bas en France, sans que jamais on ne prononce un diagnostic. Je ne la reconnaissais plus, son incroyable sourire avait disparu, le vieux cerisier dans notre jardin était mort de soif et les traites de la maison n’étaient plus payées. En France, les médecins refusaient de me recevoir, sa famille ne me parlait plus. Ici, en Suisse, ils me demandaient de faire attention à moi, en m’assurant qu’à l’hôpital, elle était en sécurité. Entre deux fugues et deux nouvelles tentatives, oui, sans doute.

 

Très vite, je n’ai plus réussi à livrer les quelques articles qu’ont m’avait commandés pour l’été, j’avais perdu le sommeil. Mes amis s’inquiétaient, me disaient de me protéger, de la quitter, de prendre soin de moi ou d’aller consulter. On m’a prescrit des antidépresseurs qui m’assommaient toute la journée et des somnifères qui restaient sans effet. J’ai traversé cinq mois de nuits blanches et d’angoisses qu’aucun traitement ne parvenait à apaiser. J’ai fini par demander une séparation provisoire en sollicitant l’hôpital pour qu’il prenne ma femme en charge. Je ne pouvais plus garder le quatre pièces que nous avions en location, j’ai dû déménager dans un minuscule studio et déposer mes cartons chez des amis. Fini la belle terrasse donnant sur la rivière, le chant des merles, les soirées entre amis autour d’une grande table. La pièce qui allait me servir de lieu de vie faisait 20 m2, placard et salle de bain compris. C’est là seulement que je me suis rendu compte que j’étais malade à mon tour. Je me sentais plonger, comme disparaître.

 

J’ai eu de la chance. J’ai trouvé un médecin qui m’a écouté et a ajusté mon traitement. Les vertiges ont cessé et le sommeil est revenu peu à peu. Les angoisses ? J’ai oublié aujourd’hui combien de mois se sont écoulés avant qu’elles cessent de me surprendre. Après notre séparation, j’ai voulu parler avec sa famille, essayer de comprendre ce qui avait pu provoquer de tels drames. Déposer mon désarroi, ma culpabilité, aussi. Sa plus proche parente s’est d’abord étonnée que personne ne m’ait rien dit de son passé et de sa maladie, des troubles bipolaires. A notre rencontre, elle prenait du Lithium, elle me l’avait dit en m’expliquant qu’elle se remettait d’une dépression. C’est vrai, je n’ai pas posé de question. Devrai-je reconnaître aujourd’hui que je savais et que je n’ai pas voulu regarder la réalité en face ? J’ai repris mes balades, de plus en plus longues, je me suis raccroché à ce que je connaissais, à mes amis et au traitement que m’a proposé mon médecin. Personne ne m’avait parlé du Graap, ni de groupes de soutien aux proches, sans doute les choses auraient été moins difficiles.

 

Malgré notre divorce, nous sommes restés bons amis et nous avons continué d’échanger quelques nouvelles. Il a fallu plus d’un an pour qu’elle me remercie de lui avoir sauvé la vie et reconnaître qu’elle n’avait plus envie de mourir. Elle va beaucoup mieux. Elle a rencontré un psychiatre un peu plus talentueux ou un plus persuasif que les autres. Elle a accepté de suivre son traitement, elle a vendu la maison, acheté un petit appartement avec la plus value et repris le travail. Moi aussi, je vais mieux. J’ai retrouvé confiance en moi, un appartement, de nouveaux amis, une compagne auprès de qui les choses sont douces. La vie continue. Il y a deux ans, un employeur m’a engagé à un poste intéressant, moins d’un an plus tard, la boite faisait faillite. Il a fallu tout recommencer, m’inscrire au chômage, rédiger des lettres de motivations et tenter de décrocher des entretiens d’embauches. J’ai suivi un cours d’anglais, bénéficié d’un emploi temporaire à un poste de journaliste et ouvert un blog sur lequel je publie au gré de l’inspiration mes images et quelques mots. Depuis la fin de ma dépression et ces longs mois où j’étais en dehors du monde, c’est sans doute cela qui me paraît aujourd’hui le plus difficile, reprendre ma place d’homme debout dans la société. Je continue.

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