Partage entre proches

Le partage entre proches (exposé d’un soignant, pas vraiment un témoignage)

 

Trop souvent encore – même s’il faut reconnaître que les équipes font actuellement de grands efforts, travaillent avec les proches – les témoignages des proches dans nos réunions nous disent finalement que ces familles ont eu à un moment particulier, au début de l’admission, le sentiment de ne pas être comprises par les équipes.

 

Les familles ont porté à bout de bras une situation lourde, jusqu’à ne plus pouvoir faire avec. Leur demande à l’entrée en institution est très souvent, et presque inévitablement: «Jusqu’à quand cela va durer? Comment allez-vous le guérir? Comment allez-vous faire?» Le sens de ces questions, pour moi, n’est pas tellement l’expression d’une espèce d’attente magique par rapport au soignant, mais c’est bien l’expression d’un véritable épuisement. A force de ne plus pouvoir faire avec un membre de sa famille qui est souffrant, qui est malade, on en arrive à demander ce qui pourrait être fait. Mais c’est sans illusion sur le fait que les soignants restent aussi impuissants que nous.

 

Souvent, à ce moment-là, les familles sont confrontées à des réponses du type: «Il va falloir demander au patient… Les choses évolueront suivant les relations qui pourront se nouer au sein de la famille. La qualité de ces relations va être prédominante pour l’évolution du patient et la suite de son existence.» Ce sont des réponses de bon sens, pertinentes, mais qui me semblent quand même avoir quelque chose de la «réponse à côté», pour les proches. Ils savent tout cela, et d’autant mieux qu’au moment de la crise, ils se sentent souvent eux-mêmes épuisés par tous les efforts consentis jusqu’alors pour maintenir cette relation. C’est pourquoi l’un des rôles des associations de proches est d’essayer de parler avec les professionnels, avec les soignants, pour lutter contre ces malentendus qui peuvent se développer et se révéler difficiles à surmonter.

 

Les soignants ne devraient pas oublier que de telles réponses peuvent être infiniment culpabilisantes, et donc construire de la distance entre le patient et son entourage. Je m’arrêterai là pour cet aspect de la relation entre soignants et proches.

 

Le deuxième rôle que je voulais évoquer, c’est celui que les groupes de proches ont à jouer vis-à-vis des familles elles-mêmes, des proches eux-mêmes. En préambule à cet aspect-là, je pense que les équipes de soins devraient systématiquement signaler aux proches et aux familles l’existence de ces groupes et donner les informations qui permettront le contact. Discuter entre proches, qu’est-ce que cela veut dire? D’abord, c’est se rendre compte que l’on n’est pas seul à porter une situation comparable et qu’il y a dans la société beaucoup plus de monde qu’on imagine qui traverse la même expérience. Cette prise de contact, cette prise de conscience sont aussi des ingrédients permettant à l’expérience de la maladie psychique de devenir génératrice de liens et non seulement productrice d’exclusion. Par ce même partage, on peut se rendre compte qu’au-delà des stéréotypes, des sens communs sur la maladie psychique, ceux qui en souffrent sont des gens aussi diversifiés que la population globale. Les patients peuvent partager des rêves, des affinités ou des goûts avec des gens dits «normaux» et leurs projets peuvent être nourris des mêmes désirs.

 

Cette prise de conscience redonne de l’assurance et permet d’accompagner le patient dans un chemin qui n’est pas seulement marqué par la différence, mais qui est aussi celui des ressources pouvant être partagées avec autrui. Ainsi, pour les familles, la participation à un groupe de proches peut devenir l’un des éléments qui les aidera à continuer à faire des projets d’avenir en termes d’intégration. C’est certainement l’un des éléments qui permettra de dédramatiser la «folie», non seulement auprès des familles mais aussi du public.

 

Pour terminer, j’aimerais vous restituer le témoignage d’un patient qui me parlait, il y a quelques années, de sa maladie. Il me disait que ses troubles n’étaient pas ce qu’il avait le plus de peine à supporter. Le fait de sombrer dans la dépression, il pouvait faire avec, il pouvait apprendre à vivre avec. Il avait des expressions assez jolies, il disait qu’il «s’était fait une raison de sa folie». Mais ce qui lui était insupportable, c’était de ne plus pouvoir prendre une initiative ou oser quelque chose. Chaque fois qu’il faisait un projet, toute une série d’intervenants ou de proches émettaient nombre de réserves et en limitaient l’ampleur. Ils le faisaient certes avec bon sens, mais ce patient se sentait pris dans un système devenu enfermant.

 

Cet exemple nous rappelle à quel point le partage entre proches ou entre proches et professionnels est une manière de décloisonner et peut-être de restaurer, dans l’univers de la dépression, la part du projet et du rêve.

 

Jean-Philippe Duflon

Partage entre proches

Le partage entre proches (exposé d’un soignant, pas vraiment un témoignage)

 

Trop souvent encore – même s’il faut reconnaître que les équipes font actuellement de grands efforts, travaillent avec les proches – les témoignages des proches dans nos réunions nous disent finalement que ces familles ont eu à un moment particulier, au début de l’admission, le sentiment de ne pas être comprises par les équipes.

 

Les familles ont porté à bout de bras une situation lourde, jusqu’à ne plus pouvoir faire avec. Leur demande à l’entrée en institution est très souvent, et presque inévitablement: «Jusqu’à quand cela va durer? Comment allez-vous le guérir? Comment allez-vous faire?» Le sens de ces questions, pour moi, n’est pas tellement l’expression d’une espèce d’attente magique par rapport au soignant, mais c’est bien l’expression d’un véritable épuisement. A force de ne plus pouvoir faire avec un membre de sa famille qui est souffrant, qui est malade, on en arrive à demander ce qui pourrait être fait. Mais c’est sans illusion sur le fait que les soignants restent aussi impuissants que nous.

 

Souvent, à ce moment-là, les familles sont confrontées à des réponses du type: «Il va falloir demander au patient… Les choses évolueront suivant les relations qui pourront se nouer au sein de la famille. La qualité de ces relations va être prédominante pour l’évolution du patient et la suite de son existence.» Ce sont des réponses de bon sens, pertinentes, mais qui me semblent quand même avoir quelque chose de la «réponse à côté», pour les proches. Ils savent tout cela, et d’autant mieux qu’au moment de la crise, ils se sentent souvent eux-mêmes épuisés par tous les efforts consentis jusqu’alors pour maintenir cette relation. C’est pourquoi l’un des rôles des associations de proches est d’essayer de parler avec les professionnels, avec les soignants, pour lutter contre ces malentendus qui peuvent se développer et se révéler difficiles à surmonter.

 

Les soignants ne devraient pas oublier que de telles réponses peuvent être infiniment culpabilisantes, et donc construire de la distance entre le patient et son entourage. Je m’arrêterai là pour cet aspect de la relation entre soignants et proches.

 

Le deuxième rôle que je voulais évoquer, c’est celui que les groupes de proches ont à jouer vis-à-vis des familles elles-mêmes, des proches eux-mêmes. En préambule à cet aspect-là, je pense que les équipes de soins devraient systématiquement signaler aux proches et aux familles l’existence de ces groupes et donner les informations qui permettront le contact. Discuter entre proches, qu’est-ce que cela veut dire? D’abord, c’est se rendre compte que l’on n’est pas seul à porter une situation comparable et qu’il y a dans la société beaucoup plus de monde qu’on imagine qui traverse la même expérience. Cette prise de contact, cette prise de conscience sont aussi des ingrédients permettant à l’expérience de la maladie psychique de devenir génératrice de liens et non seulement productrice d’exclusion. Par ce même partage, on peut se rendre compte qu’au-delà des stéréotypes, des sens communs sur la maladie psychique, ceux qui en souffrent sont des gens aussi diversifiés que la population globale. Les patients peuvent partager des rêves, des affinités ou des goûts avec des gens dits «normaux» et leurs projets peuvent être nourris des mêmes désirs.

 

Cette prise de conscience redonne de l’assurance et permet d’accompagner le patient dans un chemin qui n’est pas seulement marqué par la différence, mais qui est aussi celui des ressources pouvant être partagées avec autrui. Ainsi, pour les familles, la participation à un groupe de proches peut devenir l’un des éléments qui les aidera à continuer à faire des projets d’avenir en termes d’intégration. C’est certainement l’un des éléments qui permettra de dédramatiser la «folie», non seulement auprès des familles mais aussi du public.

 

Pour terminer, j’aimerais vous restituer le témoignage d’un patient qui me parlait, il y a quelques années, de sa maladie. Il me disait que ses troubles n’étaient pas ce qu’il avait le plus de peine à supporter. Le fait de sombrer dans la dépression, il pouvait faire avec, il pouvait apprendre à vivre avec. Il avait des expressions assez jolies, il disait qu’il «s’était fait une raison de sa folie». Mais ce qui lui était insupportable, c’était de ne plus pouvoir prendre une initiative ou oser quelque chose. Chaque fois qu’il faisait un projet, toute une série d’intervenants ou de proches émettaient nombre de réserves et en limitaient l’ampleur. Ils le faisaient certes avec bon sens, mais ce patient se sentait pris dans un système devenu enfermant.

 

Cet exemple nous rappelle à quel point le partage entre proches ou entre proches et professionnels est une manière de décloisonner et peut-être de restaurer, dans l’univers de la dépression, la part du projet et du rêve.

 

Jean-Philippe Duflon

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